Dernière Séance # 19

Journal d’un cinéphile au XXIème siècle

Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.


Mercredi 11 Mars

« Cliff Booth rides to Hollywood », la dernière vidéo en date signée du aussi digne d’intérêt que fraîchement découvert Philip Brubaker dure à peine plus de sept minutes et questionne, entre autres, la gestion du temps par le mouvement dans le dernier Tarantino. Démonstration visuelle de l’errance de Cliff Booth, protagoniste en creux d’un film qui résonne comme un poème autour… de l’errance et du temps, collision des époques. Vulgarisant autant Deleuze que les notions les plus élémentaires de diégèse et de découpage, Philip Brubaker prend bien soin d’adapter son propos aux méthodes tarantinesques, images à l’appui. Et prouve – si besoin encore était – que le talent de Q.T. ne se limite pas à sa capacité à compiler et réinterpréter les références musicales et cinéphiles mais évidemment aussi à les incarner jusque dans la plus grande maîtrise du temps et de l’espace, en somme, de la mise en scène.


Jeudi 12 mars

Pour les cinéphages ayant grandi dans les années 80 et 90 (soit toute l’équipe de Transmission), le visage de Max Von Sydow aura pris tout d’abord les traits d’un méchant de comic book, empereur fourbe dans l’adaptation sous LSD de Flash Gordon par Mike Hodges, puis roi vieillissant et mélancolique dans la miraculeuse relecture de Conan par John Milius (un rôle un temps envisagé pour John Huston ou Sterling Hayden). Bien avant de s’imposer dans notre imaginaire de cinéphile en gardien du temple bergmanien, Max Von Sydow aura incarné un certain idéal de cinéma, celui d’un acteur protéiforme, spécialiste du grand écart entre cinéma d’auteur et pop culture, aussi en l’aise dans sa langue natale que de l’autre côté de l’Atlantique et en France où il avait fini par élire domicile. Au delà de sa voix, au timbre si envoûtant et évocateur (le prologue en voix off d’ Europa de Lars von trier), ce géant au regard bleu azur était une authentique icône de cinéma, à la stature à la fois frêle et imposante qui aura su inspirer les plus grands, silhouette noire se découpant dans la brume chez Friedkin ou preux chevalier jouant aux échecs avec la mort chez Bergman. Deux images à l’aura mythologique, figées dans notre mémoire collective et qui se teintent aujourd’hui d’un nouvel éclat à l’annonce de la disparition de l’acteur.


Vendredi 13 mars

Si la carrière Max Von Sydow peut s’enorgueillir d’une fructueuse collaboration de 11 films avec Ingmar Bergman, Mark Walberg en est déjà à son cinquième film avec Peter Berg. Même si on est encore loin du Septième Sceau ou de L’heure du loup, on espérait à minima avec Spencer Confidential, que le duo continue dans la veine bourrine et décérébrée de leur précédent long métrage, le très peu recommandable mais très fendard 22 Miles. Pas de bol, cet actioner petit bras délaisse la violence décomplexée des exploits de Marky Mark pour un humour de maternelle affligeant et fainéant. Desservi par des scènes d’action toujours aussi illisibles et une intrigue qui ressemble à un version sous Lexomil d’un polar de Guy Ritchie, cette production Netflix est tout juste sauvée de l’oubli par l’abattage de la comédienne Iliza Schelinger, seul vrai grain de folie au sein de cette entreprise toute juste bonne à vous flinguer les neurones. 
Et à ce compte là autant vous ruer sur les stands ups de la demoiselle disponible sur la même plateforme qu’accorder encore un peu de crédit au nom de Peter Berg.


Samedi 14 mars

Avec Fighter, Happiness Therapy, American Bluff et Joy, David O. Russell se sera affirmé comme un des cinéastes américains les plus passionnants de années 2010, passant avec une aisance déconcertante d’un genre cinématographique à un autre avec une exigence de mise en scène sans commune mesure dans le cinéma contemporain. Cinq ans après Joy et l’annulation de sa série Amazon avec Robert De Niro et Julianne Moore, son nouveau projet signe également le retour derrière la caméra du talentueux Emmanuel Lubezki, lui aussi éloigné des plateaux depuis 3 ans et le tournage de Song to Song de Terrence Malick. Une rencontre au sommet qui sonne comme une évidence tant les deux hommes partagent une même sensibilité chorégraphique dans leur approches respectives du médium cinématographique.
Habitué du cinéma de David O. Russell, Christian Bale est annoncé au casting, accompagné des très en vue Margot Robbie et Michael B. Jordan, tandis que se murmurent des participations de Michael Shannon, Mike Myers et Robert de Niro.


Dimanche 15 mars

En l’espace de 2 films (Que dios nos perdone et El reino), Rodriguo Sorogoyen s’est imposé comme un réalisateur à suivre de très prés. Son nouveau film présenté hors compétition à Venise est annoncé comme un prolongement de son très remarqué court métrage Madre, thriller en un seul plan où une mère espagnole recevait un appel de son fils de six ans perdu et lui décrivait l’arrivée un homme étrange venant à son secours. Glaçant et anxiogène ce court-métrage sert aujourd’hui de prologue à un intriguant long métrage situé entre la France et l’Espagne, dix ans après les faits, où la jeune mère tente de refaire sa vie en travaillant comme serveuse sur la plage où son fils a disparu. Toujours coécrit avec sa partenaire Isabel Pena, le film était censé arriver dans les salles françaises le 22 avril, en espérant que l’actualité ne pousse pas son distributeur vers une sortie en catimini en VOD.


Lundi 16 mars

Outre les suspensions des tournages de Matrix 4 et Avatar 2 pour les raisons que l’on imagine, ainsi que les morts de Suzie Delair (actrice chez Clouzot, Clément, Visconti…) et Stuart Whitman (acteur chez Wise, Wellman, Curtis…) pour des raisons autres, on l’espère, j’apprends en ce jour le projet de e-cinema entrepris par le CNC. On sait l’établissement public parfois plus enclin à laisser rentrer l’argent pour l’offrir aux projets prémâchés et prédigérés qu’à investir dans la nouveauté et les projets plus risqués. Toujours en pourparlers, on imagine bien les négociations s’accélérer en ces temps de fermeture pour les « lieux récréatifs » en tout genre. Une grande mesure bousculant la fameuse chronologie des médias pour sauver « le cinéma » qu’un certain virus aurait rendu malade. Voilà qui devrait ravir les petites et moyennes salles d’exploitation qui ré-ouvriront d’ores et déjà les pieds les pieds dans l’eau, toujours un peu plus. Reste à espérer un réel désir de sorties culturelles lorsque la fièvre sera retombée.


Mardi 17 mars

On vous en parlait il y a déjà quelques semaines, le spin-off de The Big Lebowski consacré au personnage de Jesus Quintana incarné par John Turturro est devenu au fil des années un remake des Valseuses de Bertrand Blier. Si en ces temps de confinement généralisé on aurait pu espérer que cet étrange croisement de l’univers de Blier et des frères Coen vienne souffler un vent de liberté sur notre triste quotidien, le film de John Turturro se révèle incapable à transposer le ton libertaire et anarchiste de Blier. Remake au plan prés des Valseuses mais totalement vidé de la tonalité subversive de son modèle, ce Jesus Rolls est in fine un produit de consommation courante sans grande envergure à l’image de bien des remakes actuels qui finissent à transformer l’or en boue. Et puisque une image vaut mille mots, on vous réserve ci dessous le (dé)plaisir de la découverte :


Sur ce, bonne semaine cinéphile à toutes et à tous et prenez soin de vous !

Manuel Haas & Lucien Halflants

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