«Est-ce que ce chien est à toi ? -Non. -Dans ce cas, mangeons-le ensemble »
Cette accroche grinçante adossée au verso du fourreau cartonné de la défunte collection dvd Asian Star, donne le « la » de Barking dogs never bite (2000), premier film du talentueux Bong Joon-Ho. Sur le fil entre grotesque et absurde, la citation témoigne de l’humour singulier et cinglant du futur réalisateur de Memories of murder (2003) , The Host (2006) et Okja (2017).
Instituteur au chômage prêt à céder à la corruption pour devenir professeur d’université, Yun-ju (Lee Sung-jae) est le digne parent de tous ces parias qui hantent la filmographie du cinéaste coréen. Loser pathétique adepte du kidnapping et du meurtre de petits chiens, Yun-ju partage l’affiche avec la débutante Doona Bae (The Host, Cloud Atlas des Wachowski & Tom Tykwer – 2012), ici en jeune fille pauvre et rêveuse, obsédée par la recherche de la célébrité. Opposés par leurs choix, ces deux personnages symbolisent les rêves et aspirations d’une société coréenne rongée par le la corruption et le conformisme. Sans sombrer dans un misérabilisme racoleur et putassier, Bong Joon-Ho joue avec brio avec les codes du mélodrame propre à l’ensemble du cinéma coréen et avec notre empathie vis-à-vis des personnages pour progressivement nous amener à questionner notre regard et notre adhésion morale face aux agissements des différents protagonistes.
Près de vingt ans avant la consécration cannoise de Parasite, Bong Joon-Ho y révélait déjà un talent d’équilibriste redoutable dans sa manière de jongler avec brio avec les genres, multipliant les ruptures de tons et les retournements de situation. Oscillant entre film d’horreur, drame social et comédie loufoque Barking dogs never bite portait déjà en gestation tout le cinéma de Bong Joon-Ho, déroulant une série de motifs et de thèmes que le cinéaste allait affiner et retravailler au fil de sa carrière, à l’instar de cette scène à priori anodine où le héros incarné par Lee Yun-ju perd la trace du chien de sa femme alors qu’un nuage de fumée toxique l’enveloppe et le plonge dans une sorte de no man’s land brumeux, comme en écho au final de The Host et à la scène d’introduction de Parasite.
Sans atteindre les sommets du reste de sa filmographie, la faute à un rythme lancinant et jazzy pas encore totalement maîtrisé, Barking dogs never bite confirme l’amour de Bong Joon-Ho pour les personnages marginaux et décalés. De l’inspecteur débonnaire de Memories of murder à la famille dysfonctionnelle de The Host ou de Parasite, le cinéma de Bong Joon-Ho est peuplé de ces laissés pour compte du système.
Sans jamais avancer de manière linéaire et classique, le film semble opérer par strates, couches et accumulations, à l’image du cadre même du récit : cet immeuble que la caméra de Bong Joon-Ho explore dans ses moindres recoins, dans des mouvements tant horizontaux que verticaux qui ne sont pas sans rappeler la mécanique narrative de Parasite (avec même une incursion à la lisière du fantastique qui entretient une certaine proximité avec le retournement de situation du dernier tiers de son dernier film).
S’ouvrant et se refermant sur une scène en miroir qui semble contenir en creux tout le propos du film, Barking dogs never bite diffère cependant de Parasite par la porte de sortie qu’il ménage encore au personnage rêveur de Doona Bae, qui peut encore s’extraire du carcan social, là ou le faux happy end de Parasite semble désormais tuer dans l’œuf toute possibilité d’émancipation. Un léger changement de paradigme qui démontre en vingt ans l’extrême cohérence du cinéma de Bong Joo-Ho tout en dévoilant une vision du monde de plus en plus désenchantée.
Sorti en catimini dans l’hexagone et souvent oublié dans la filmographie du papa de Mother (2009) et du Transperceneige (2013), Barking dogs never bite reste assurément un film à redécouvrir de toute urgence.
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