Dernière Séance # 07


Journal d’un cinéphile au XXIème siècle

Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.


Mercredi 13 novembre

L’annonce d’une deuxième saison du Seigneur des Anneaux par Amazon Prime avant le tournage – par Juan Antonio Bayona – de la première, m’offre l’occasion rêvée d’investir une œuvre littéraire monumentale. Je commence donc mon déchiffrage de Tolkien par Le Hobbit. Me questionnant depuis longtemps, comme beaucoup, sur les qualités plus relatives des adaptations par Peter Jackson en comparaison avec sa précédente trilogie, j’opte pour une lecture comparative avec mon souvenir assez frais de cette prélogie. Outre les qualités évidentes de celle-ci, je me rappelle une impression de lourdeur dans la narration et de sous-intrigues un peu étonnantes, et pour cause. Tolkien, aussi génial et apôtre de Stakhanov soit-il, me semble être un bien piètre structuraliste. Ellipsant des scènes d’une parfaite cinégénie, proposant un récit d’une linéarité infroissable, caractérisant ses personnages par des détails insignifiants et contant les actions les plus dantesques et leurs achèvements parfois improbables en quelques mots… L’œuvre semble bien compliquée à ne pas trahir pour un réalisateur de l’ambition lyrique et formelle de Jackson. Outre le désastre qu’aura été le tournage, les libertés de réécriture me paraissent dès lors plus évidentes voir imposées par le bouquin originel lui-même. Pour le meilleur comme pour le pire…


Jeudi 14 novembre

Il y a quelques années, Arte avait produit et diffusé La Volupté de la Destruction et La Mémoire des Vaincus, les deux premiers volets d’une excellente série documentaire de Tancrède Ramonet nommée Ni Dieu ni maître : une histoire de l’anarchisme. Le titre et le lien ci-dessous en disent long, je vais donc faire court. Arte et ses instances comptables – finançant pourtant d’excellents contenus – semblent préférer laisser ce magnifique courant social et (a)politique là où ils l’avaient laissé : dans un noir et blanc tremblant comme s’il n’avait plus lieu d’être aujourd’hui. Bien sûr, ils se trompent mais si c’est cela qu’ils veulent… Après de long mois de bataille intestines, ceux pour qui ce projet compte vraiment ont récupéré les droits de « Des Fleurs et des Pavés » et de « Les Réseaux de la Colère » les deux opus suivants, et retournent en salle de montage. Manque une chose essentielle, un budget. Pour boucler celui-ci et offrir une allumette à la vivacité brulante d’un mouvement qui aura survécu à toutes les morts annoncées et à toutes les récupérations, l’équipe lance un crowdfunding. À vous de rendre de la couleur à l’insurrection filmique de ceux qui longtemps se sont masqués de noir.


Vendredi 15 novembre

Disney tue le cinoche épisode 2736599604. John Lasseter et Lee Unkrich partis (entendez foutus dehors), Jim Morris, président de Pixar Industry annonce calmement qu’une partie non-négligeable de leurs meilleurs auteurs est priée d’aller voir ailleurs et que – quand on sait que lors de sa fabrication, le cerveau d’un artiste est doté d’une date de péremption – cela est tout à fait normal. Si l’on tend bien l’oreille, dans certaines contrées enfouies de notre monde et lors de nuits calmes, on pourrait entendre les applaudissement fiers et approbateurs d’Eastwood et Miyazaki au delà des voiles de l’oubli et de leurs retraites à 65 ans. De son côté, mécontent de ne pouvoir offrir un étage supplémentaire à la tour Mickey qu’il compte construire au sommet de l’Empire State Building, Bob Iger aurait décidé de retirer James Cameron de la production des suites d’Avatar au profit des frères Russo et de bruler toutes les copies de How Green Was My Valley de John Ford et All About Eve de Joseph Mankiewicz pour se concentrer sur leur diffusions en copies restaurées spécialement pour le prochain iphone.

Jim Morris ou l’histoire d’un mec de 60 ans qui dit à des mecs de 50 ans qu’ils sont trop vieux

Samedi 16 novembre

C’est la vraie bonne nouvelle de la semaine pour tous les cinéphiles passionnés d’univers méta. Nicolas Cage va incarner Nicolas Cage dans un thriller où Nicolas Cage luttera contre un Nicolas Cage nineties. Dans la diégèse du film, ce dernier en voudra à son lui futur de laisser sa filmographie partir à vau-l’eau. En parallèle d’une carrière à la CIA, l’acteur contemporain ferait tout pour s’offrir un rôle dans un film de Quentin Tarantino. Au vu des carrières des noms associés à l’écriture et à la mise en scène du projet et malgré le titre « Le Poids Insupportable du Talent Massif » faisant ouvertement référence à l’un des chefs-d’œuvre de Milan Kundera, pas sûr que cela nous passionne d’un point de vue cinématographique. Nous restons cependant curieux d’un pur point de vue psycho-médical.


Dimanche 17 novembre

Canal + et BBC proposent deux nouvelles adaptations de la Guerre des Mondes. N’en ayant vu ni l’une, ni l’autre, nous n’en parlerons pas. Mais, cinéphiles que nous sommes – et lorsque nous n’en avons pas un fermé et l’autre vissé dans la visière d’un sniper braqué sur les têtes pensantes (si l’on peut dire) d’une industrie cinématographique boiteuse – nous voyons d’un bon œil toute opportunité nous permettant de parler de nos cinéastes favoris. Et qui dit La Guerre des Mondes dit Steven Spielberg mais dit aussi et surtout Orson Welles. Évidence absolue, dès lors, de signer quelques lignes sur  Ils M’Aimeront Quand Je Serai Mort, documentaire proposé par Netflix sur le tournage de De l’Autre Côté du Vent, dernier et inachevé film de l’immense Orson. Soit un plaisir absolu d’accompagner la bonhomie et la volonté à toute épreuve de l’un des plus grands artistes qui soient, trainant le poids d’une première œuvre inégalable, en enchainant des projets tous plus fous, grandioses et mutilés, comme son désir sans limite pour tout ce qui le fait jouir, ses amitiés dévastatrices mais inébranlables avec le tout aussi gigantesque John Huston et le jeune Peter Bogdanovich, etc… Serge Daney disait à Claire Denis qu’il était plus simple d’aimer l’intelligence d’Howard Hawks à la fougue romantique de Nicholas Ray tant l’un filmerait un typhon dans un plan large d’une magnifique précision là où l’autre plongerait en son cœur avec la caméra fixée au corps. Huston et Welles, eux, pourraient briller par leur synthétisme de ces deux symboles.


Lundi 18 novembre

En ces temps où l’on débat de la nécessité ou non de boycotter le cinéma des auteurs impurs, l’immense Robert Towne (Chinatown, Shampoo et …. Mission Impossible 2 ou Jours de Tonnerre) annonce son projet d’adapter en série le chef-d’œuvre de Roman Polanski dont il était déjà le scénariste. Et comme si la nouvelle manquait d’audace et d’intérêt, le film lauréat de l’oscar du meilleur scénario original en 1975 se verrait attacher le nom de David Fincher à la réalisation. L’accord serait d’ores et déjà signé entre les deux artistes et devrait être rendu possible par Netflix, décidément le portefeuille préféré des grands auteurs. Avant, peut être, que la plateforme n’appose son gigantesque nom au Mank du même Fincher avec Gary Oldman tournant lui aussi autour d’un film emblématique de l’histoire du cinéma : Citizen Kane.


Mardi 19 novembre

Le grand Emmanuel Macron aurait dit être « bouleversé par la justesse » des Misérables de Ladj Ly et aurait sonné son gouvernement de « trouver des idées et d’agir pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers. » Voilà qui en dit long sur le pouvoir émotionnel et politique du cinéma (quel qu’il soit, nous n’avons pas encore vu le film) et sur l’implication du président dans les plus belles variétés et profondeurs du pays qu’il représente. On entendrait d’ailleurs dire que, dans sa grande cinéphilie, le président ferait le pressing auprès de Todd Philips et Joaquin Phoenix pour que la version longue comprenant la scène coupée – dite « la scène folle du bain » – du Joker soit envoyée au plus vite à l’Élysée et qu’il pourrait lui-même délier les cordons de la bourse nationale pour en produire la suite. Oui oui, une suite « aux mêmes résonances thématiques » flotte bien dans le cerveau liquéfié du réalisateur de Very Bad Trip 3. Après tout, un milliard de dollars – qu’il engraisse un studio ou un état – ça nourrit l’industrie.

Emmanuel Macron grand admirateur de l’œuvre de Victor Hugo

Sur ce, bonne semaine cinéphile à toutes et à tous.

Lucien Halflants

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