Journal d’un cinéphile au XXIème siècle
Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.
Mercredi 1er Janvier
Bonne année cinéphile à tous !
Bonnes résolutions 2020 pour l’équipe de Transmission : poursuivre La Dernière séance, publier 12 numéros d’actualité mais aussi quelques numéros spéciaux destinés aux ressorties, devenir plus populaires, plus influents, plus puissants, voire maîtres du monde. D’un strict point de vue cinématographique, si 2020 a de faibles chances d’égaler le très haut niveau de 2019, nous pouvons dire en avant-première et sans trop nous mettre en danger que cette année nous parlerons de : Adoration de Fabrice Du Welz, 1917 de Sam Mendes, Une vie cachée de Terrence Malick, Richard Jewell de Clint Eastwood, Soul de Pete Docter, Tenet de Christopher Nolan, Benedetta de Paul Verhoeven, Mank de David Fincher, Last Night in Soho d’Edgar Wright, West Side Story de Steven Spielberg et bien d’autres encore.
Jeudi 2 Janvier
Paris Match (!) publie une longue interview de Manuel Chiche, fondateur de la société de distribution The Jokers qui, forte du succès de Parasite de Bong Joon-Ho, se lance dans la production et promeut la sortie prochaine d’Adoration de Fabrice Du Welz. Précis et inéluctable sur son métier au sein de l’industrie du cinéma français, l’homme se fait clairvoyant lorsqu’il évoque les mutations des modes de consommation, mais au cœur de chacune des problématiques, trône la question de la ligne éditoriale. Quant à la distribution : « Ce qui va être déterminant dans les années à venir, c’est justement ce que représente votre marque, si c’est un label de qualité avec une ligne éditoriale cohérente qui pousse les gens à se dire : c’est un film Jokers, je vais le voir. ». Plus loin, Manuel Chiche anticipe déjà l’après chute de Netflix suite à l’arrivée de Disney+, Apple+ et tutti quanti : « Je crois aussi que vont émerger des micro-plateformes spécialisées dans le cinéma d’horreur etc. Je trouve que c’est une démarche intéressante de se spécialiser dans un genre donné. (…) Je pense que l’on va assister à une nouvelle forme de consommateur qui alternera en fonction des catalogues. » En imaginant de m’abonner à trois plateformes restreintes mais garantes d’une ligne éditoriale forte que j’aurais privilégiée, j’entrevois une nouvelle forme de partage cinéphile, où, en fonction des abonnements (et donc des goûts, des choix) de mes collègues, je me procurerai chez eux les œuvres qui m’intéressent, mais visibles uniquement hors de mes abonnements. Une nouvelle manière de rencontrer, d’échanger, de débattre… Autrement dit d’entretenir la passion cinéphile.
Vendredi 3 Janvier
«Pourquoi s’en prendre à quelque chose d’inéluctable ?», disait hier Manuel Chiche à propos de l’essor des plateformes, aujourd’hui, c’est au tour de Paul Schrader, interviewé par Marcos Uzal pour Libération, de jouer au grand prêtre de la raréfaction programmée de l’exploitation des films en salles: « Vous savez, si les cinémas ont été créés, ce n’est pas parce que leurs propriétaires trouvaient qu’il était mieux de voir les films collectivement et sur grand écran, mais parce que ça rapportait beaucoup d’argent. Aujourd’hui, on a trouvé une manière d’en gagner plus et plus facilement : ne plus montrer les films en salles. On ne peut pas combattre ça. ». Quelques mois après le décalque maladroit de son scénario de Taxi Driver par Todd Phillips pour Joker (à ce propos, après révision récente du chef d’œuvre de Martin Scorsese, une analyse comparée des deux films axée autour de la question empathie spectateur-personnage attend des hordes de doctorants), le Forum des images de Paris consacre du 8 Janvier au 2 février une rétrospective / carte blanche / cycle de conférences à Paul Schrader, scénariste émérite, mais aussi réalisateur de 21 longs métrages de Blue Collar en 1978 à First Reformed en 2017. Outre ces deux titres, l’équipe de Transmission vous recommande Hardcore (1979) remake déguisé de La Prisonnière du désert de John Ford (1956) avec un Georges C. Scott impérial, Mishima (1985) inspiré de la vie et des écrits de Yukio Mishima ou encore le rare Patty Hearst (1988), retraçant quant à lui l’itinéraire de Patricia Hearst, fille de William Randolph, enlevée par un groupuscule terroriste d’extrême gauche américain en 1974 avant de se rallier à leur cause.
Samedi 4 Janvier
Apparues il y a quelques années, les sympathiques « boîtes à livres » se multiplient. Récemment, l’une d’entre elles a fait son apparition dans le hall d’accueil de mon immeuble. Alors que je la croyais destinée uniquement aux livres pour enfants dans une copropriété pleine de jeunes parents, quelle ne fut pas ma surprise d’y trouver un combo DVD/Blu-Ray de La Vie Passionnée de Vincent Van Gogh de Vincente Minnelli (1956) ! Fier de ma découverte inespérée d’un film que je ne connais pas encore, mais réalisé par l’homme qui signa Les Ensorcelés (1952), Tous en scène (1953) et Comme un torrent (1958), c’est un peu honteux que je déposai illico en échange mon doublon DVD de Taxidermia, coup d’éclat non-renouvelé du hongrois György Pálfi en 2006, un film que j’ai aimé à sa sortie sans le revoir depuis. Des semaines plus tard, je glisse le trésor inespéré dans le lecteur. Et là, c’est le drame : le film de Vincente Minnelli m’apparaît aussi palpitant qu’un cours d’histoire de l’art délivré par un professeur de secondaire sous anxiolytiques, la mise en images souvent sans relief ni inspiration (à l’exception peut-être des scènes dans la maison d’Arles), ponctué de matte-paintings ratés, et interprété par un Kirk Douglas dont la gestuelle outrancière me fait regretter l’anémie de Jacques Dutronc chez Maurice Pialat. Aujourd’hui, si ma copie de Taxidermia n’a toujours pas trouvé preneur, mon embarras a quant à lui complètement disparu.
Dimanche 5 Janvier
Le 26 février prochain, sortira Dark Waters, nouveau long-métrage de Todd Haynes. Peu attendu et peu excitant sur le papier, le film met en scène Mark Ruffalo en avocat seul contre tous qui tente d’attaquer le puissant groupe agro-alimentaire DuPont (industrie au centre de l’excellent Foxcatcher de Bennett Miller (2013) déjà avec l’acteur susmentionné). Auteur-réalisateur intéressant mais inégal, Todd Haynes a signé l’un de ses meilleurs films avec Safe en 1995. Sans doute né en partie du traumatisme des «années sida» sur un auteur ouvertement homosexuel (certains personnages y deviennent littéralement allergiques aux besoins essentiels à la survie et se réfugient sous une enveloppe plastique), Safe a gagné à l’aube de 2020 une aura quasiment prophétique. Gazs toxiques, paranoïa alimentaire, tests d’allergies longs comme des annuaires, perte de sens face à l’impasse capitaliste, biens commandés pour livraisons à domicile, sociétés new-age pseudo-bienveillantes mais vraiment culpabilisantes… Cauchemar d’anticipation domestique d’une clairvoyance rare, au générique de début préfigurant celui de Mulholland Drive (David Lynch – 2001), Safe nécessite d’urgence une réédition Blu-Ray blindée de bonus, qui rendrait justice à sa direction artistique glaciale, à sa photo aseptisée, à sa partition synthétique, ou encore à la prestation géniale et subtile d’une Julianne Moore en pleine ascension. Ceci pour enfin l’établir à sa juste place, celle d’un film incontournable des années 90.
Lundi 6 Janvier
Sans surprise, et toujours pour notre plus grand plaisir, Bong Joon-Ho remporte le Golden Globe du meilleur film étranger pour Parasite, créant encore un précédent pour un film coréen. Malicieux, le génial réalisateur se permet une petite flèche à l’honorable assemblée : « Une fois que vous aurez franchi la petite barrière des sous-titres, tellement d’autres films merveilleux s’offriront à vous ! ». Il y a quelques mois, le plaisir intense de cinéma que m’a offert le film en général, et la scène du « plan peau de pèche » en particulier, m’a fait pleurer comme un enfant. Merci au réalisateur de la chaîne YouTube Nerdwriter1 pour sa brillante vidéo intitulée « Parasite’s perfect montage », qui décortique quelques uns des secrets de cette séquence d’anthologie, et me rappelle l’émotion éprouvée alors, proche de mes premiers émois cinéphiles.
Mardi 7 Janvier
L’arlésienne dure depuis plus de cinq ans dans le monde de l’analyse cinématographique francophone, mais cette fois-ci il semblerait bien que ce soit la bonne ! L’information est tombée aux micros de François Angelier et Philippe Rouyer lors de l’excellente émission Mauvais Genres de France culture du 21 décembre 2019 consacrée en partie à la luxueuse réédition du Dernier des Mohicans (1992) par E.S.C. : le livre-somme sur le travail de Michael Mann par Jean-Baptiste Thoret devrait être disponible avant l’été. Déjà auteur d’un livre indispensable sur le cinéma américain des années 1970, l’ex-critique, devenu historien et réalisateur, jouit aujourd’hui d’une certaine aura dans un milieu cinéphile actif sur le web, et notamment pour une bonne partie de notre rédaction. Parmi ses compétences visibles pour un tel ouvrage, Jean-Baptiste Thoret a réalisé une interview de Michael Mann à l’occasion de son documentaire We Blew It (2017), ou encore une conférence passionnante consacrée à Miami Vice (2006) au Centre des Arts d’Enghien (France), et visible ci-dessous.
Sur ce, belle semaine cinéphile à tous !
Olivier Grinnaert.