Dernière Séance # 34

Journal d’un cinéphile au XXIème siècle

Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.


Mardi 07 juillet

La planète ciné est en deuil, Ennio Morricone n’est plus, rejoignant Sergio Leone au cimetière de Sad Hill, à la croisée des chemins du bon, de la brute et du truand. Les témoignages d’affection et les playlists improvisées se sont succédées pour célébrer la pérennité de l’œuvre d’un auteur majeur du 7éme art, compositeur de près de 500 musiques de films qui aura marqué comme personne l’imaginaire collectif du cinéma pendant plus de cinq décennies. Pour ma part, Morricone aura constitué une étape charnière dans ma cinéphilie, marquant au fer rouge ma rencontre avec le cinéma de Leone dans sa manière de faire corps avec l’image, célébrant chaque mouvement, entrée et sortie de champ des acteurs comme une invitation à prendre conscience du travail de la caméra et à redéfinir son approche du cinéma. Invité à composer en amont du tournage des films de Leone (sa musique étant jouée à même le plateau à partir du Bon, la Brute et le Truand), la partition de Morricone était bien souvent elle-même à l’origine de scènes ou d’idées de mise en scène développées par la suite par Leone. Une imbrication entre musique et film en totale harmonie qui témoigne que le cinéma en tant qu’art a souvent bien plus à voir avec l’écriture musicale qu’avec les règles de l’écrit.


Jeudi 09 juillet

Très attendu au sein de notre rédaction, le long-métrage colombien Monos écrit, coproduit et réalisé par le brésilien Alejandro Landes, n’y fera sans doute pas l’unanimité. Parole à la défense. Pour un retour à des conditions de visionnage optimales, Monos est idéal: atmosphère saisissante servie par des images remarquables de densité, le travail cumulé des décors, cadres et optiques donne une sensation de volume presque tridimensionnelle à la première partie du film, avant que le piège refermé, la perspective ne soit complètement écrasée en fin de métrage. Complétant l’immersion, le travail sonore de Mica Levi est quant à lui peut-être un peu over-hypé. Révèrent à F. F. Coppola ou Claire Denis, Monos est cependant résolument original tant il s’inscrit à la fois dans le sillage du cinéma mexicain socio-brutal (Michel Franco, Amat Escalante) mais aussi dans une forme de « réalisme magique » littéraire, qui évoque Gabriel Garcia Marquez (Amérique du sud oblige) ou encore Toni Morrison. Autre gros point fort du film, le metteur en scène parvient à caractériser finement ses huit personnages principaux, qui existent tous grâce à un patronyme, quelques répliques évocatrices (sans doute encore davantage pour le spectateur hispanophone et connaisseur du contexte sud-américain) et surtout le travail sur leur physique. Pour le coup, on pourrait qualifier le casting de trognes de fellinien, prolongeant ainsi la veine « imaginaire » du travail d’Alejandro Landes. Imparfait, on pourra reprocher à l’auteur de s’attarder trop souvent sur un personnage tiers anglophone, éparpillant sa narration, à défaut de la resserrer plus vite sur le personnage de Rambo (oui oui) grâce auquel la tendresse éclôt en quelques plans d’une quiétude familiale recomposée, très vite menacée par la densité de la jungle. Une réussite et un auteur à suivre.


Samedi 11 juillet

Avec Manhattan Lockdown et Tyler Rake, les frères Russo (Avengers Endgame) auront par deux fois cette année lorgné du côté du cinéma de Tony Scott. Si Manhattan Lockdown – déjà chroniqué il y a quelques semaines – aurait pu s’apparenter à un film d’action « high concept » dont le frère de Ridley avait le secret (en imaginant Denzel Washington en lieu et place de Chadwick Boseman), Tyler Rake s’apparente quant à lui à une relecture boursouflée et peu inspirée de Man on Fire.
De l’alcoolisme du personnage principal à sa relation sacrificielle avec un enfant, jusqu’à certaines scènes clés du chef d’œuvre de la filmo de Scott (la scène d’échange sur le pont – entourée aujourd’hui d’une aura funèbre depuis la mort de Tony Scott), cette nouvelle production des Russo tourne le dos à la dimension tragique de leur modèle (in)avoué pour n’en retenir que le décorum et une vision très périphérique des enjeux du récit. Répétitif, à la limite du parodique, Tyler Rake est surtout un film d’action dans l’air du temps qui, sous couvert de radicalité, nous ressert la même soupe que la plupart des blockbusters actuels. N’assumant jamais la vraie nature de leur antihéros, les deux frangins appliquent la même logique narrative que celle de leur diptyque Avengers, multipliant les scènes d’action hypertrophiées (une grosse scène d’action en faux plan séquence bourrée de raccords numériques dégueulasses) et les longs échanges dialogués tentant maladroitement d’apporter une épaisseur aux personnages (tout en les faisant agir comme de parfaits demeurés une seconde plus tard). Confié aux bons soins de Sam Hargrave, coordinateur des cascades sur toute une série de films du MCU, Tyler Rake porte également tous les stigmates du cinéma d’action contemporain qui tient plus souvent de la démo martiale que du grand film d’action tant vanté. Une nouvelle pierre dans le paysage sinistré du blockbuster made in Netflix qui nous fait regretter l’époque bénie où Tony Scott ou John Mac Tiernan mettaient le feu aux collines d’Hollywood.


Dimanche 12 juillet

Pour se décrasser les yeux et les neurones après la purge Netflix Tyler Rake, rien de mieux que de se replonger dans un des derniers haut faits d’armes de David Mamet, le sous estimé Spartan avec un Val Kilmer en très grande forme. Sorti directement en dvd au début des années 2000, le film d’espionnage de Mamet est un modèle de série B dégraissée jusqu’à l’os. À l’inverse de la mise en scène tape-à-l’œil de Sam Hargrave, Mamet élague tout élément superflu pour aller à l’essentiel, sans affect et avec un sens de l’épure qui tant au niveau du cadre que du récit colle parfaitement avec la logique froide et méthodique du personnage incarné par Val Kilmer. Sur une trame narrative interchangeable avec celle de Tyler Rake – le sauvetage d’un(e) adolescent(e) en territoire hostile – Spartan déploie des ressorts d’ingéniosité pour rendre captivante et spectaculaire l’avancée de son récit sans jamais se départir des éléments attendus au sein de ce type d’aventure mais que Mamet investit et questionne à l’aune du parcours de son personnage principal. Une attention portée à l’être humain plutôt qu’à la pyrotechnie qui achève de transformer ce simple postulat de série B en fable atemporelle aux airs de tragédie grecque. Un film à réévaluer comme une grande partie de la filmographie de David Mamet.


Mardi 14 juillet

Avant de prendre nos quartiers d’été et de revenir rechargés à bloc, les bagages remplis de nouveaux podcasts et de nouvelles surprises pour la rentrée, on ne saurait vous conseiller de jeter un coup d’œil sur la chaîne Cine Forever Video, qui consacre une série d’émissions autour du grand John Milius. Présenté par le critique et scénariste Fathi Beddiar, le premier épisode consacré aux fondements de la saga Dirty Harry vient d’être mis en ligne. Une somme encyclopédique d’informations qui revient sur les nombreuses influences de Milius dans la conception de L’inspecteur Harry et de Magnum Force, jusque dans l’écriture même du mythique monologue autour du Magnum 44. Un régal pour tous les cinéphiles et dont on vous réserve le plaisir de la découverte. D’ici là, prenez soin de vous, regardez des films, retournez en salles et on se retrouve début septembre (on vous réserve quant même deux épisodes classiques dans les semaines à venir).

Bonnes vacances cinéphiles à toutes et à tous !

Manuel Haas et Olivier Grinnaert

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