Journal d’un cinéphile au XXIème siècle
Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.
Mercredi 15 janvier
Estampillée « Netflix original », alors qu’elle est née sous l’égide de la BBC, la nouvelle version de Dracula sous forme de mini série en 3 épisodes est à la fois une excellente surprise et une petite déception. Comme ils l’avaient fait précédemment avec Sherlock, Gattis et Moffat revisitent de fond en comble la figure de Dracula pour en proposer une relecture érudite et ludique qui dépoussière le mythe sans jamais le dévoyer. Affûté comme les canines du saigneur des Carpates, l’écriture du duo fait des merveilles tant dans les dialogues que dans le soin maniaque apporté à la résurrection de cette grande figure du fantastique.
Après près de 30 ans perdu à errer dans un labyrinthe d’adaptations hasardeuses (le dispendieux Dracula de Francis Ford Coppola) ou ratées (Van Helsing, Dracula 2000 et le récent Dracula Untold), le comte Dracula retrouve ici de sa superbe sous les traits d’un Claes Bang impérial et ultra charismatique. L’éternel combat entre le comte et Van Helsing trouve ici un écho tout particulier tant dans le choix de son interprète (l’actrice Dolly Wells) que dans son ultime affrontement avec le monstre, où Gattis et Moffat redéfinissent les règles du jeu – la peur de la croix et de la lumière du jour- pour mieux rétablir le mythe dans toute sa modernité. Un choix audacieux et inédit qui risque de faire grincer les dents de quelques puristes mais qui résonne comme une profession de foi à l’heure où l’industrie peine à donner une seconde vie à tout un pan de la culture populaire.
Seule ombre au tableau, si à l’écran la lutte entre la lumière et les ténèbres brille par la haute tenue de son écriture, la mise en scène reste largement en deçà de ce que l’on aurait pu attendre d’un telle refonte du mythe. Si l’on appréciera dans sa première partie la volonté de retour aux sources au travers d’une imagerie gothique très largement associée au genre, le dernier tiers pâtit d’une esthétique impersonnelle qui tend à minimiser la portée symbolique du récit et aurait peut être gagné à opérer son dernier virage narratif en deux épisodes au lieu d’un seul. Pourtant réalisateur de certains des meilleurs épisodes de la série Sherlock (Le grand jeu / Un scandale à Buckingham) Paul McGuigan peine à trouver le ton juste pour clore cette nouvelle anthologie qui finit par laisser un goût de trop peu pour tous ceux qui en attendait un peu plus d’une telle refonte du mythe.
Après à vous de voir si vous préférez boire le verre à moitié vide ou à moitié plein.
Jeudi 16 janvier
Si lorsque l’on évoque une série comme Dracula ou encore Sherlock, la signature de Steven Moffat tend à éclipser celle de son coscénariste Mark Gattis, il convient pourtant de souligner l’apport évident de ce dernier dans l’une des grandes réussites de ce Dracula millésime 2020. Plus ancrée dans une tradition de la littérature et du cinéma d’épouvante, la plume de Gattis est un parfait contrepoint à la vision plus moderne de Moffat. Une mise en tension entre tradition et modernité au cœur même de la dynamique qui habite le binôme Sherlock/Watson ou Dracula/Van Helsing.
Tourné en partie dans les studios de la Hammer et en Slovaquie sur les traces du Nosferatu de Murnau, l’esthétique très réussie des deux premiers tiers de cette nouvelle série doit beaucoup à cet amour de Gattis pour une certaine tradition du cinéma de genre.
Une passion partagée par Gattis dans deux excellents documentaires consacrés à l’histoire du cinéma horrifique, la mini-série A history of horror with Mark Gattis et Horror Europa with Mark Gattis où l’interpréte de Mycroft Holmes arpentait déjà le pavé du château d’Orava, théâtre du classique intemporel de Friedrich Wilhelm Murnau.
Vendredi 17 janvier
Il y a quelques semaines, nous partagions notre tristesse et notre regret de voir la disparition de deux émissions chères à notre cœur de cinéphile : Opération frisson et Le grand frisson animées respectivement par Yannick Dahan et Julien Dupuy. C’est donc avec un vif intérêt que nous accueillons l’arrivée sur France Télévision de Zine ! Zine ! le nouveau magazine culturel de Julien Dupuy consacré à l’actu des 9 -12 ans. Un regard plus enfantin qui pourra dérouter aux premiers abords les habitués du Grand frisson mais qui témoigne du même engagement à porter haut et fort les couleurs de la culture populaire. À l’heure où l’emprise de Disney plane au-dessus de toutes les petites têtes blondes, Zine ! Zine ! incarne une proposition rare et solide d’alternative à l’uniformisation de l’imaginaire incarnée par la firme aux grande oreilles. Un outil salutaire de résistance pour continuer à éveiller la curiosité des plus petits aux derniers soubresauts de la pop culture.
Malheureusement, à contrario du Grand frisson disponible en replay en dehors le France, il faudra faire preuve d’une certaine forme d’inventivité pour contourner les frontières du web afin d’apprécier cette nouvelle émission (aucune crainte, votre enfant de 9 ans devrait pouvoir vous guider dans cette périlleuse opération).
Samedi 18 janvier
Présent au sommaire du premier épisode de Zine ! Zine ! le coffret dvd/bluray Le monde animé de Grimault regroupant 8 courts-métrages de Paul Grimault en versions restaurées est un enchantement de chaque instant. Odes à l’émerveillement et à la poésie, traversés de doux rêveurs et d’autant de motifs que l’on retrouvera des années plus tard dans son chef-d’œuvre Le roi et l’oiseau, cette galerie de courts-métrages dresse un portrait émouvant et vivifiant de cet artiste iconoclaste et farouchement antimilitariste qu’était Paul Grimault.
Dans l’attente d’une édition plus complète des courts-métrages de Grimault, cette anthologie centrée autour de sa collaboration avec Jacques Prévert et le scénariste Jean Aurenche (La traversée de Paris / Jeux interdits) est une introduction parfaite au cinéma de celui qui selon l’aveu même du regretté Isao Takahata fut décisif dans la décision du futur réalisateur du Tombeau des Lucioles de s’engager dans la voie du cinéma d’animation.
Lundi 20 janvier
Lundi soir à la Cinémathèque française se tenait la 74e cérémonie de remise des prix du Syndicat Français de la Critique de Cinéma. Une soirée qui aura récompensé l’excellente monographie de Philippe Garnier Sterling Hayden, L’irrégulier du prix meilleur album sur le cinéma, édité par La Rabbia, le label rétro du distributeur The Jokers. Une occasion parfaite – au delà de la somme de documents inédits et passionnants assemblée par Philippe Garnier- de revenir sur une facette encore trop méconnue de cette figure essentielle du film noir américain et de vous conseiller la lecture de ses deux formidables romans: Voyages et Wanderer publiés chez Rivages. Derrière l’image imposante de ce géant aux pieds d’argile se révèle un écrivain accompli, d’une sensibilité à fleur de peau, tout droit sorti d’un roman d’Hemingway ou de Robert Louis Stevenson.
Un homme qui -comme dans la préface de Wanderer signée James Ellroy- avant d’être un « très bon comédien, était meilleur encore quand il prenait la plume pour écrire un roman ou bien ses mémoires. La vie en mer – et la mer en tant que métaphore du combat et de la transcendance – tel était son thème majeur ».
Sur ce bonne semaine cinéphile à tous !
Manuel Haas
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