Dernière Séance # 18

Journal d’un cinéphile au XXIème siècle

Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.


Mercredi 26 février

Quand la pire idée du monde prend tout à coup un virage réjouissant. Le magazine Variety annonce que Steven Spielberg passe la main sur le cinquième volet de la saga Indiana Jones, pour confier la réalisation à James Mangold, fort de deux succès critiques et publics consécutifs, soit Logan en 2017 et Le Mans 66 l’année dernière. Autre bonne nouvelle, George Lucas n’est plus impliqué (même si son nom restera sans doute au générique). Plus inquiétant : a) au scénario l’habile David Koepp a jeté l’éponge et c’est Jonathan Kasdan – fils de Lawrence et auteur de Solo: A Star Wars Story (2018) – qui a été embauché par le légendaire trio Steven Spielberg/Kathleen Kennedy/Frank Marshall ; b) Harrison Ford revient (mais comment faire autrement) ?

En ce qui concerne la réalisation, le remake de West Side Story avec Ansel Elgort (Baby Driver – 2017) et toujours éclairé par Janusz Kaminski, est attendu pour le 18 décembre aux U.S.A., soit le jour où Steven Spielberg fêtera ses 74 ans. Le réalisateur devrait ensuite enchaîner sur un projet de film historique thématiquement plus personnel, The Kidnapping of Edgardo Mortara basé sur l’histoire vraie d’un enfant juif italien au milieu du 19ème siècle, baptisé en secret par l’entremise d’une servante de la famille lorsqu’il était nourrisson, puis enlevé à l’âge de 6 ans par les autorités papales pour être élevé dans la religion catholique. L’affaire fit grand bruit et mena en partie à la séparation du clergé et de l’état en Europe de l’ouest. Pour sa 4ème collaboration avec Steven Spielberg après Munich (2005), Lincoln (2012) et justement West Side Story, le dramaturge Tony Kushner (auteur de la pièce Angels in America) signe l’adaptation de l’ouvrage de l’anthropologue et historien américain David Kertzer: Pie IX et l’enfant juif: l’enlèvement d’Edgardo Mortara (1997). Mark Rylance a été annoncé dans le rôle du pape Pie IX.


Jeudi 27 février

Un communiqué de presse m’apprend la démission de l’intégralité de la rédaction des Cahiers du cinéma. Ceci suite à la reprise du magazine par un conglomérat de personnalités parmi lesquelles Xavier Niel (hommes d’affaires et actionnaire du Monde), Grégoire Chertok (banquier chez Rothschild) ou les producteurs Pascal Caucheteux (Deephan, Moi Daniel Blake) et Christophe Barral (Les Misérables). La nomination au poste de directrice de rédaction de Julie Lethiphu, organisatrice de la Quinzaine des réalisateurs, a été l’élément déclencheur pour les rédacteurs. Pour un magazine qui a récemment défendu les gilets jaunes ou Parcoursup, c’est de trop. L’illustre revue créée en 1951 entre autres par André Bazin et Jacques Doniol-Valcroze afin de «faire la guerre au cinéma français dit de qualité, au cinéma à la papa» considère – à raison – que sa ligne éditoriale ne saurait être dictée par les actionnaires et qu’il serait suffoquant de continuer à écrire dans ces conditions.

Que l’on aime ou pas la revue, c’est un monument de la presse cinéma et une anthologie de la critique qui est aujourd’hui menacée d’extinction. Je parle ici d’une maison dans laquelle Jean Luc Godard, François Truffaut, Jacques Rivette, Claude Chabrol, Eric Rohmer et bien d’autres encore ont agité leurs plumes critiques avant de passer derrière la caméra. D’une entité dans laquelle André Bazin ou Serge Daney ont officié en tant que rédacteurs en chef. En refusant la complaisance d’une direction impliquée dans le cinéma français, l’ensemble de la rédaction choisit de ne pas s’auto-mutiler, de ne pas se laisser imposer une ligne de conduite. Par cet acte, la rédaction des Cahiers dénonce les dangers de l’entre-soi et d’une critique complaisante où les rédacteurs seraient réduits à l’état de marionnettes actionnées par les sbires du cinéma français. Ils refusent que leur ligne éditoriale soit potentiellement dictée par les repreneurs et revendiquent leur liberté d’écrire et de penser le septième art.

Quand on sait que la majorité de la presse est détenue par des actionnaires millionnaires (Xavier Niel déjà, Bernard Arnault et le groupe LVMH pour ne citer qu’eux) on ne peut que respecter le geste radical que l’équipe des Cahiers jette à la figure de leurs récents propriétaires. Un geste clair, avec un doigt tendu au milieu de la main. Vive la liberté de la presse. Vive les Cahiers du cinéma !

La couverture des Cahiers pour janvier 2020. Pour une fois qu’on était d’accord…


Vendredi 28 février

Voilà, c’est arrivé. La 45ème cérémonie des césars a eu lieu. Bien sûr c’était un calvaire et c’était très loin d’être drôle.

Je suis un mâle blanc adulte, j’évolue dans la classe moyenne. Par chance, je n’ai jamais eu à souffrir d’agression sexuelle, de harcèlement hiérarchique ou de rapport de domination auquel je ne puisse pas dire stop sans risquer de perdre gros. Pour moi, il a été aisé de regarder cette mascarade jusqu’au bout sans être heurté dans ma chair.

Je suis cinéphile. Pour moi, il est aisé de subodorer qu’une grande partie des membres de l’académie des césars a très certainement voté dans son propre intérêt – et peut-être dans un réflexe de repli, de peur et/ou de protection – et non dans un geste d’honnêteté intellectuelle et d’exigence cinématographique.

L’infime once de dignité aura jailli quelques jours avant avec l’attaque d’une partie du monde du cinéma français à l’égard de l’académie, la démission de la direction et la promesse de réforme des statuts à venir. Cette cérémonie funeste n’étant – on l’espère – que l’émanation putride d’un cadavre encore chaud. Alors qu’une garde arriérée (en pensée) du cinéma français continue toujours de regarder de l’autre côté de l’Atlantique en se bouchant le nez, en cette année 2020, les Oscars auront fait une belle preuve d’ouverture, et alors qu’un équivalent paritaire était possible dans l’hexagone, nous n’avons eu droit qu’à cet odieux fiasco.


Samedi 29 février

Anniversaire de Superman et de Gérard Darmon.


Dimanche 1er mars

Le 70ème festival du film de Berlin se termine. Pour la troisième fois en 10 ans (après Une séparation d’Asghar Farhadi en 2011 et Taxi de Jafar Panahi en 2015), l’Ours d’or revient à un film iranien: There is no evil de Mohammad Rasoulof. Je me remémore avoir été durablement impressionné par le précédent film du cinéaste, Un Homme intègre (2017), source de sérieux ennuis pour son auteur dont un an de prison pour « propagande contre la république islamique d’Iran ». Aujourd’hui, Mohammad Rasoulof est interdit de sortie du territoire, ce qui l’a empêché de venir chercher sa récompense pour ce nouveau film, une succession de quatre segments distincts partageant la thématique commune de la peine de mort en Iran. Merci pour ceux qui n’ont pas froid aux yeux.

Un passionnant sujet fut bien sûr les conséquences de l’arrivée de Carlo Chatrian au poste de sélectionneur. La marque qu’il a su apporter au festival de Locarno semble se retrouver dans une nouvelle sélection parallèle intitulée Encounters, qui multiplie les curiosités et les gestes forts. On y trouvait notamment Malmkrog, nouveau film du roumain Cristi Puiu (La Mort de Dante Lazarescu – 2005 ; Sieranevada – 2016) ou un intriguant film d’anticipation autrichien : The Trouble with being born de Sandra Wollner, qui repartent tous deux primés.

À part ça, en vrac, le film de Tsai Ming Liang Days a été présenté sans sous-titres, selon le souhait du réalisateur, et s’ouvre sur un plan de cinq minutes sur Lee Kang Sheng qui regarde la pluie tomber. Le nouveau film de Rithy Panh, Irradiés, est projeté sous forme d’un triptyque: trois écrans de même taille, se succédant horizontalement. Les réalisatrices indie américaines Kelly Reichardt (First Cow) et Eliza Hittman (Never, Rarely, Sometimes, Always – Grand Prix) ont à peu près charmé tout le monde, les patriarches à la gloire lointaine Abel Ferrara (Siberia) et Philippe Garrel (Le Sel des larmes) ont à peu près fait chier tout le monde. Mais ceci reste à vérifier.


Lundi 2 mars

Pas une semaine sans parler du héros de l’année : Bong Joon-Ho ! À l’occasion des 20 ans de ses débuts en tant que réalisateur (Barking dogs never bite – 2000), le magazine Sight & Sound a demandé à l’auteur réalisateur d’établir une liste de 20 réalisateurs.trices dont le travail lui fait entrevoir le futur du cinéma : « Quand nous visionnions Nos Années sauvages de Wong Kar-Wai (1990), nos esprits pouvaient déjà rêver d’In the mood for love (2000), ou la découverte de Sang pour sang des frères Coen (1985), donnait déjà un avant-goût de celle de No Country for old man (2007). ».

Voici la liste complète des artistes cités, elle comprend 12 hommes et 8 femmes: Ali Abbasi, Ari Aster, Bi Gan, Jayro Bustamante, Mati Diop, Robert Eggers, Rose Glass, Hamaguchi Ryusuke, Alma Har’el, Kirsten Johnson, Jennifer Kent, Oliver Laxe, Francis Lee, Pietro Marcello, David Robert Mitchell, Jordan Peele, Jennifer Reeder, Alice Rohrwacher, Yoon Gaeun, Chloé Zhao.

Monsieur Bong, j’ai mes accords, mes désaccords, mais ce qui me saute aux yeux à la lecture de cette liste c’est que nous, en Belgique, nous n’avons eu droit ni à Asako 1&2 de Ryusuke Hamaguchi, ni à The Nightingale de Jennifer Kent, pas de trace de Knives and Skin de Jennifer Reeder ou de The House of us de Yoon Gaeun…

Triste royaume pour les cinéphiles…


Mardi 3 mars

Une partie de l’équipe de Transmission passe à la radio !

Pour écouter, c’est par là !


Sur ce, bonne semaine cinéphile à toutes et à tous !

Olivier Grinnaert & Julien Rombaux.

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