Dernière Séance # 20

Journal d’un cinéphile au XXIème siècle

Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.


Mercredi 18 Mars

Cette rubrique n’aura jamais aussi bien porté son nom. Les cinémas sont fermés  – LES.CINÉMAS.SONT.FERMÉS – Quelle horreur.

Ma dernière séance était des plus ordinaires. Pleine des gestes qui nous manquent aujourd’hui. C’était le dimanche 8 mars. En pleine après-midi, je chevauchais ma bicyclette malgré les trombes d’eau qui tombaient du ciel. Sur ma route, se déroulait la manifestation pour le droit des femmes, je m’en suis voulu de ne pas faire partie du cortège, mais bon, j’avais rendez-vous avec Todd Haynes et Mark Ruffalo. Arrivé à 16h25 devant un sanctuaire bien connu des bruxellois. Pas beaucoup de monde dans la file, avant d’entrer, je prépare une pièce de monnaie pour l’ouvreuse. Et oui, l’établissement est old school. L’ouvreuse porte des gants en plastique, signe avant-coureur de l’invasion du sanctuaire à venir. La jeune fille déchire mon billet, je résiste à la tentation des sucreries. Les fauteuils sont rouges dans la salle, je prends place au milieu du 4ème rang. Je connais bien cette salle, il y a quelques années, bénévole pour un ciné-club, j’y ai pris la parole pour présenter Tel père, tel fils d’Hirokazu Kore-Eda (2013), Still The Water de Naomi Kawase (2014) et quelques autres… La salle n’est pas très pleine pour un dimanche de pluie, la paranoïa s’installe. Il y eut des réclames aujourd’hui oubliées, des bandes-annonces de films aujourd’hui repoussés, puis le voyage a commencé.

Un dernier plan-poitrine de Mark Ruffalo laisse place aux titres de fin, blancs sur fond noir. Quelques minutes pour redescendre. Malgré des réserves, Dark Waters m’a plu. Je me réjouis d’en débattre avec mes collègues transmetteurs. En sortant du sanctuaire, je remarque l’affiche d’Une grande fille de Kantemir Balagov annoncé pour tenir l’affiche 11 jours plus tard. J’ai hâte. Sur le chemin du retour, je repense au film, j’essaie de mettre des mots sur mon ressenti, de l’ordre dans mes idées. Ma compagne n’était pas avec moi aujourd’hui. Dommage, j’aime discuter d’un film avec elle. J’aime aussi quand elle ne vient pas, alors, je pourrai regarder un autre film avec elle dans la soirée, l’un contre l’autre dans le canapé.

Je n’ai toujours pas vu Une Grande fille et je ne sais pas si la sortie du film est repoussée ou annulée. Le canapé m’accueille depuis 10 jours, et probablement pour plus d’un mois encore. Marre du canapé. Les fauteuils rouges me manquent, même si je pourrais défendre que le système sonore est meilleur chez moi.

Et vous, votre dernière séance ?


Jeudi 19 mars

Ici même il y a quelques temps, je faisais un mini compte-rendu de ma découverte de Docteur Sleep de Mike Flanagan. Au nombre de vidéos YouTube qui s’y attaquent, je suis bien en retard, mais j’ai enfin découvert The Haunting of Hill House, série que le même réalisateur a « créée » pour Netflix (il en était le showrunner et a réalisé les 10 épisodes).

La série est une très libre adaptation du roman homonyme de Shirley Jackson paru en 1959, et qui a déjà donné lieu au meilleur – La Maison du diable de Robert Wise (1963) – comme au pire – Hantise de Jan De Bont (1999). Indéniablement, le travail de Mike Flanagan se situe plutôt du bon côté. Très aboutie thématiquement et narrativement, la série mise sur une construction de prime abord un peu laborieuse, qui se révèle assez vite une plus-value rythmique avant de faire complètement corps avec le propos dans la dernière longueur. Casse-gueule à souhait, le final de la série surprend par son sérieux, sa cohérence, son refus du sensationnalisme et l’éclairage subtil qu’il jette sur l’ensemble de l’œuvre.

L’épisode 6, Les deux tempêtes, est un must see, assez révélateur des points forts comme des points faibles du show en général et du travail de Mike Flanagan en particulier. Construit « en temps réel » en cinq longs-plans séquences tournés au steadycam, décors, comédiens et époques s’y entremêlent dans une joyeuse virtuosité, tandis que la volonté démiurgique de mouvement perpétuel imposée par le metteur en scène contraint parfois les acteurs à des déplacements acrobatiques, parfois encore ampoulés par des dialogues volontiers lourdingues.


Samedi 21 mars

Passés de statut de petits génies du système D dans les années 80 (Evil Dead, 1981 – Bad Taste, 1987), à crème de la crème des entertainers dans les années 2000 (trilogie Spider-Man d’un côté, Seigneur des anneaux de l’autre), Sam Raimi et Peter Jackson réussissaient à merveille le fameux grand écart entre cinéma d’auteur et pop-culture. Les vilaines années 2010 ont vu la disgrâce de ces deux héros (Le Monde fantastique d’Oz, 2013 – Trilogie Le Hobbit) avant l’éloignement progressif des plateaux. Devenus empêcheurs de tourner en rond dans un système où les studios ont repris les pleins pouvoirs devant les auteurs, ils nous manquent terriblement.

Du coup, je mire à nouveau Jusqu’en enfer (2009) avant-dernier film en date de Sam Raimi, écrit avec son frère et réalisé juste après le bras de fer perdu contre le producteur Avi Arad sur Spider-Man 3 (2007). Pas revu depuis sa sortie, à la fois cartoon grand-guignol et conte moral, Jusqu’en enfer est un film hétérogène et attachant, souvent très drôle, une sorte d’Evil Dead au féminin. Pour rappel, le film conte l’histoire de Christine, jeune employée de banque qui lorgne sur une promotion. Alors que son patron lui demande de montrer plus de nerfs, Christine refuse un crédit à une tzigane franchement dégueulasse. Humiliée, la vieille dame jette un sort à notre héroïne arriviste, dès lors tourmentée par un démon qui la poursuivra quelques jours avant de l’emmener en enfer.

Aussi consciencieux soit-il, Sam Raimi semble se foutre éperdument du decorum souvent très cheap cher à la sorcellerie (pentacles, séances de spiritisme, possession typée Buffy contre les vampires servie par des effets spéciaux pas au top), pour prendre un plaisir manifeste à faire étalage de fluides corporels à l’écran et surtout à sadiser un personnage principal ambivalent et fouillé, aussi charmant que repoussoir, tout comme pouvait l’être le stupide, orgueilleux et misogyne Ash. Incarnée par la brillante Alison Lohman (qui a par la suite tourné le dos à une carrière d’actrice pour se consacrer à sa famille), Christine Brown est le genre de personnage à propos duquel une bonne discussion vous apprendra beaucoup quant à la boussole morale tapie au fond des êtres qui vous sont chers. Voire sur vous-même.


Dimanche 22 mars

Deux interrogations nées du même film.

Ici et là, j’entends qu’Uncut Gems des frères Safdie serait une œuvre primordiale, en prise directe avec son temps. À me coller le doute. L’œuvre épileptique m’aurait-elle échappé précisément parce qu’elle me renvoie à mon refus de multiplier les tâches comme le font nombre de mes contemporains, capables de regarder à la fois un match de football sur une tablette et une série sur l’écran du salon, tout en chatant sur leur smartphone alors qu’ils disputent en direct une partie d’échecs. Et si le film des frères Safdie tente précisément de retranscrire cette frénésie, peut-être me renvoie-t-il justement à cette volonté de me mettre moi-même hors-jeu.

1) Faut-il comprendre l’air du temps, alors même qu’on tente d’y échapper, pour apprécier le cinéma de son époque ?

Un camarade cinéphile attire mon attention sur la chaîne YouTube baptisée 7 minutes de réflexion, qui contient justement une vidéo consacrée à Uncut Gems. Après un parallèle pertinent que je n’avais pas remarqué avec L’Exorciste (1973) (alors même que je vénère le film de William Friedkin), la vidéo me propose une clé de compréhension du film des frères Safdie en s’appuyant sur des notions d’histoire du judaïsme qui m’étaient jusque-là inconnues. Précisément, à la vision de film, j’ai été gêné de ne pas entendre le discours des auteurs sur la religion dans laquelle ils ont été élevés, alors même que très manifestement, le judaïsme tient une part importante dans leur propos.

2) Doit-on interpréter un film au prisme de son savoir, ou est-ce le travail du cinéaste d’incarner son propos sans requérir à des présupposés connus de l’audience ?

Suffisamment curieux, je reverrai Uncut Gems à froid, alors même qu’il s’agit d’un film dont la première vision m’a été désagréable.


Mardi 24 mars

Un héros s’en va. Albert Uderzo est mort. Apparemment, Albert Uderzo se serait assuré par voie légale pour que le dernier album en date, Astérix et la transitalique reste le dernier. La question demeure pour les droits audiovisuels, adaptations animées ou en prise de vues réelles. Si l’œuvre de René Goscinny et Albert Uderzo a été pillée, sabotée, sacrifiée, insultée au cinéma (et nous devrions malgré tout souffrir bien trop vite le 5ème volet Astérix et l’empire du milieu réalisé par Guillaume Canet), les adaptations des aventures des deux Gaulois en animation sont régulièrement humbles mais honnêtes, souvent drôles et respectueuses du ton des œuvres originales.

Alors que le premier long-métrage en date Astérix le Gaulois (Ray Goossens – 1967) a été produit par l’éditeur Charles Dargaud en Belgique à l’insu des auteurs (!) et que malgré leur implication artistique, le génial duo sera fortement déçu par la qualité de l’animation d’Astérix et Cléopâtre (signé Goscinny & Uderzo – 1968), Albert Uderzo, René Goscinny et Charles Dargaud tentent d’avoir un meilleur contrôle artistique sur la suite des opérations en centralisant la production à Paris. En 1973, les Studios Idéfix naissent, premier studio de création de longs-métrages animés en France depuis la fermeture des Gémeaux de Paul Grimault en 1952. Henry Gruel, réalisateur et designer sonore, et Pierre Watrin, animateur disciple de Paul Grimault, sont chargés d’en constituer les équipes techniques. De leur recherche de talents naîtra la fameuse école des Gobelins, réputée meilleure formation française en techniques d’animation.

En 1976, Les douze travaux d’Astérix sera le premier long-métrage estampillé studios Idéfix. Bien que ponctuées de défauts, la fluidité de l’animation et la caractérisation des personnages font un saut qualitatif, et le film est surtout une grande réussite scénaristique et publique. Multi-rediffusé, Les douze travaux d’Astérix  est une madeleine de Proust pour l’auteur de ces lignes, qui a dû le voir environ 878 fois. Merci pour les fous-rires, merci pour les aventures.


Sur ce, bonne semaine cinéphile à toutes et à tous !

Olivier Grinnaert.

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