Journal d’un cinéphile au XXIème siècle
Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.
Mercredi 08 avril
Après deux collaborations infructueuses avec ce bras cassé de Zack Snyder (les indigestes et indigents Batman vs. Superman et Justice League) accompagnées d’une quatrième réalisation qui laissait entrevoir les limites de son cinéma, le retour de Ben Affleck derrière la caméra de Gavin O’Connor avec The Way back sonne comme l’heure de la réconciliation.
Au début des années 2000, alors qu’il jouait les bellâtres dans des blockbusters fin de race (Daredevil / La Somme de toutes les peurs) ou des comédies romantiques navrantes (Amours infinis / Un Amour trouble), nul n’aurait pu anticiper le virage à 180 degrés opéré par Ben Affleck à l’orée des années 2010. Après une adaptation méritante de Dennis Lehane (Gone baby gone), Affleck allait prendre un nouvel envol avec ses deux films suivants The Town et Argo, salués par le public et la critique. À la fois devant et derrière la caméra, Affleck y dévoilait une épaisseur et une sensibilité qui faisaient défaut à sa filmographie, d’ordinaire coincée entre le sourcil concerné du super héros ou le sourire béat du gendre idéal. Film phare de ce renouveau, le Gone Girl de David Fincher, capturait à merveille ce glissement entre cette image faussée et surexposée du comédien et celle plus intime et personnelle qui se dessinait à travers ses choix de réalisation. Une traversée du miroir, qui reflétait et jouait de ce décalage entre cette nouvelle image de l’acteur et celle héritée de ses années à jouer les playboys pour le cinéma ou les tabloïds (sa vie privée avec Jennifer Lopez exposée sans relâche au point de devenir la vitrine du clip du tube Jenny from the Block).
Si la suite n’aura pas forcément été à la hauteur de ces promesses, ce retour en grâce opéré avec The Way back rappelle qu’Affleck n’est jamais aussi bon que lorsqu’il laisse se fissurer le masque d’une assurance factice pour laisser entrevoir ses fêlures et ses démons intérieurs. Ancienne gloire du lycée, désormais divorcé et alcoolique, le personnage incarné par Affleck rejoue une partition bien connue de l’image publique de l’acteur entre addiction à l’alcool et une séparation très médiatisée mais le film ne souffre jamais d’une absence de distance ou d’un voyeurisme putassier. De tous les plans, Affleck porte le film sur ses épaules dans ce qui est peut-être sa meilleure interprétation à ce jour.
En symbiose totale avec son personnage, il dégage une présence physique et une sensibilité à fleur de peau qui confèrent aux scènes intimistes une puissance émotionnelle d’une rare intensité. Initialement prévu pour une sortie dans les salles en mars 2020, le film est désormais disponible sur la plateforme du géant et fraudeur fiscal Amazon. À vous de voir si en cette période de confinement vous voulez rester dans le domaine de la légalité ou si vous attendez la réouverture des salles de cinéma.
Jeudi 09 avril
Un Affleck peut en cacher un autre. Si ici, il s’agit toujours de Ben Affleck et non pas de son frangin Casey, Sa dernière volonté est lui en revanche une belle déconvenue. Vendu sur son nom et celui d’Anne Hathaway alors que sa présence à l’écran n’excède pas les quinze minutes, le film de la cinéaste Dee Rees (Mudbound) est symptomatique de l’état de déliquescence et de déstructuration totale du récit dans le cinéma américain actuel. Censé narrer les aventures d’une journaliste chevronnée (Anne Hathaway sans maquillage et toute en tâches de rousseur) cherchant à remonter la filière d’une vente d’armes au Nicaragua à la veille d’un coup d’état, Sa dernière volonté est un film qui ne sait jamais ce qu’il raconte et comment le raconter. Perdue dans les méandres d’une intrigue qui avance de manière artificielle en une accumulation de péripéties et de rebondissements sans logique apparente, Hathaway donne l’impression d’un poulet sans tête qui se heurte contre les murs en déclamant des monologues interminables sur l’interventionnisme des États-unis en Amérique du Sud. Un modèle de non film à étudier dans les écoles de cinéma tant sa réalisatrice s’évertue à bafouer toutes les règles élémentaires de la narration.
Seul personnage un tant soit peu intriguant, l’énigmatique haut fonctionnaire incarné par Ben Affleck est relégué au rang de faire valoir amoureux comme si en chemin le film d’espionnage à la John Le Carré s’était mué en roman à l’eau de rose pour lecteurs & lectrices de Barbara Cartland.
Sur le même sujet on préférera largement revoir Salvador d’Oliver Stone ou même Under Fire de Roger Spottiswoode autrement moins délétères dans leurs narrations.
Vendredi 10 avril
Mardi dernier, Jean-Luc Godard faisait l’événement sur les réseaux sociaux. Invité autour d’un live sur Instagram par l’École d’art de Lausanne pour une longue heure d’entretien passablement complaisante et absconse, le vieux sage de la nouvelle vague a déroulé sans grande surprise sa pensée sur le monde, le cinéma et la télévision. Un beau coup de buzz à moindre frais pour l’ECAL, tant Godard est devenu depuis longtemps une marque de fabrique un peu caricaturale (et caricaturé finement dans l’excellent Le Redoutable de Michel Hazanavicius). Une conversation en roue libre tenant plus du PMU de la cinéphilie que d’une vision éclairée du cinéma, mais bon à défaut d’apprendre grand chose on a pu s’amuser avec les nouveaux filtres de l’application Instagram.
Samedi 11 avril
Dans un registre plus attractif et moins anecdotique, le confinement semble réussir à Quentin Tarantino. Pour pallier à l’absence d’activité de son cinéma le New Beverly à Los Angeles, le réalisateur de Once Upon a time in Hollywood en alimente le site web de critiques de films et de portraits d’acteurs ou de réalisateurs chers à sa cinéphilie. Au programme un panorama hétéroclite du cinéma des années 60 aux années 80, de Peter Bogdanovich à Jimmy Wang Yu tout en passant par une interview inédite et passionnante de John Milius par Tarantino en 1982 alors que ce dernier n’avait que ….20 ans. Une bien belle manière de tuer le temps et de plonger au cœur du cinéma si singulier de Tarantino.
Dimanche 12 avril
ll y a sept ans, au début du mois d’août alors que les cinémas n’étaient pas encore condamnés à fermer leurs portes, Les Derniers jours, deuxième film des frères Pastor, sortait dans une quasi-indifférence générale. Aussi spectaculaire qu’anxiogène, ce survival post-apocalyptique dressait le bilan d’une épidémie d’agoraphobie contraignant la population à rester chez elle, un peu à la manière de ce que nous vivons aujourd’hui.
Coup du sort ou du destin leur nouveau long métrage est lui actuellement disponible sur Netflix sans avoir à mettre le nez dehors. Intitulé ironiquement Chez moi, ce nouvel opus nous place aux coté de Javier (Javier Gutiérrez tout simplement monstrueux) publicitaire au chômage qui décide d’espionner les nouveaux propriétaires de son ancien domicile. A contrario des Derniers jours qui s’articulait autour de deux personnages en quête d’une humanité perdue, Chez moi brosse le portrait d’un authentique salaud qui au fil de l’évolution du récit va peu à peu abandonner toute forme d’empathie. Brillant tant dans sa mise en scène que dans son écriture qui progressivement fait évoluer notre identification au personnage principal, Chez moi n’est pas sans rappeler le formidable polar oublié de Michele Soavi Arrivederci amore, ciao.
Un petit diamant noir qui confirme après Infectés et Les Derniers jours toute la cohérence et l’inventivité du cinéma des frères Pastor.
Mardi 14 avril
C’est avec une image largement détournée sur internet que le Dune de Denis Villeneuve s’est dévoilé cette semaine. Une photo de tournage, où cheveux au vent, perdu dans la grisaille d’un bord de mer, le personnage de Paul Atréides – le héros du cycle de romans de Frank Herbert – interprété par Timothée Chalamet semble perdu dans d’obscures pensées. Une photographie bien peu spectaculaire pour un film autant attendu que redouté après l’adaptation avortée d’Alejandro Jodorowsky dans les années 70 et celle en roue libre de David Lynch. Un choix étrange mais qui résonne avec la logique assez terne de Denis Villeneuve, qui prend des allures de cinéma concerné et réflexif tout en brassant du vide (l’épilogue nonsensique de Premier contact ou le final hautement ridicule de Blade runner 2049).
Si une seconde vague de photographies est venue contrebalancer cette impression en présentant la planète Arrakis et son désert de sable, on s’interroge sur le choix assez commun du décor du Wadirum en Jordanie, lieu de tournage très prisé d’Hollywood, de Lawrence d’Arabie aux récents Star wars, Seul sur mars ou Aladdin. Une imagerie au caractère générique et peu inspiré quand on se remémore le formidable travail conceptuel et visionnaire réalisé par Moebius ou Giger pour le projet de Jodorowsky, dont l’énergie créatrice donnera naissance quelques années plus tard au Alien de Ridley Scott.
Bonne semaine cinéphile à toutes et à tous !
Manuel Haas