LE CONGRES : INTERVIEW ARI FOLMAN

A l’occasion de la sortie en salle, ce mercredi d’ Où est Anne Frank, petit retour en arrière sur notre rencontre avec son réalisateur Ari Folman pour son précédent film Le Congrès. Détendu et disert, il nous avait accordé un long entretien où il exprimait ses interrogations quant au futur de l’industrie cinématographique. 

Vous êtes familier de l’oeuvre de Stanilas Lem depuis de longues années. Pourquoi avoir choisit d’adapter Le Congrès de Futurologie en particulier ?

Ari Folman : J’ai découvert le livre assez jeune et à cette époque j’étais fasciné par tous les éléments qui avaient trait  aux drogues, au fantastique…. Ce n’est que quelques années plus tard, après l’avoir lu une nouvelle fois, que j’ai découvert toute cette allégorie sur le bloc communiste. Lorsque j’ai commencé à travailler sur l’adaptation du roman, j’ai fini par réaliser que le livre traitait de notre rapport à la notion même d’identité.

Que pensez-vous des précédentes adaptations de l’œuvre de Stanislas Lem au cinéma ?

Vous voulez dire les deux versions de Solaris ?

Oui.

J’aime beaucoup la première version et j’ai beaucoup de respect vis-à-vis de la seconde. Je trouve que Soderbergh a réussi à imposer sa propre vision de l’histoire. Je me souviens avoir découvert le film en Floride en 2002, en plein milieu de l’après-midi, dans une grande salle de plus de 1200 sièges, absolument déserte. Une expérience assez inoubliable.
Stanilas Lem aimait beaucoup cette version qu’il avait découverte peu de temps avant sa mort. Alors qu’il détestait toutes les autres adaptations de son œuvre, le travail de Soderbergh avait trouvé grâce à ses yeux. Pour je ne sais quelle raison, il adorait celle-ci et haïssait celle de Tarkovski.
Il pensait peut-être que Tarkovski avait pris cela trop au sérieux.

C’est un peu comme Stephen King vis-à-vis de Kubrick et de son adaptation de Shining

Il la détestait ?

Non, mais il avait ressenti une trahison vis-à-vis de son travail, au point de mettre en chantier une nouvelle version sous forme de mini-série, réalisée par son comparse Mick Garris. Une version plus fidèle mais assez dispensable.

Je pense que quand vous adaptez un classique de la littérature comme Shining ou Le Congrès de Futurologie, vous devez prendre beaucoup de liberté en tant que réalisateur pour ne pas vous retrouver prisonnier du matériau d’origine. Le respect à la lettre est un miroir aux alouettes.

Un peu comme les adaptations ratées de Sin City,  Watchmen ou 300 …

Tout à fait, Watchmen reproduit le découpage de la bande dessinée à l’identique…

Ce qui est un non-sens total car le cinéma et la bande dessinée obéissent à des règles spécifiques qui sont difficilement transposables de l’un à l’autre sans un véritable travail d’adaptation.

Oui. A l’époque Sin City apparaissait comme novateur mais c’était déjà du copier/coller.

Comment est née l’idée de transformer le personnage principal masculin en un personnage féminin  et de prendre une actrice pour jouer son propre rôle ?

Quand j’ai acheté les droits du Congrès de Futurologie, je n’avais pas d’idée précise sur la manière dont j’allais l’adapter. Je savais seulement que je voulais combiner animation et tournage en prise de vue réelle. J’ai relu le livre plus d’une dizaine de fois mais je ne savais toujours pas comment ce projet allait prendre forme.
Lors de mon passage à Cannes, j’ai observé une vieille  actrice auquel personne ne faisait attention. Mon agent m’a dit qu’elle était une grande star dans les années 60 et les années 70. Je trouvais fascinant que personne ne fasse le lien entre son image aujourd’hui et son image d’elle jeune gravée sur celluloïd pour l’éternité. J’ai transposé cette idée dans le film lorsque Robin Wrigh tarrive au congrès organisé par le studio et où personne ne la reconnait alors que ses films passent en boucle sur tous les écrans.

Quand j’ai commencé à travailler sur le scénario du film, j’ai organisé une réunion dans mon studio avec cinq spécialistes de science-fiction, des sommités en la matière.  Parmi eux, il y avait des éditeurs, des traducteurs, dont la carrière était entièrement dédiée à la littérature de genre.
Je me suis assis et j’ai commencé à dire : « Je suis en train de travailler sur l’adaptation du Congrès de Futurologie et j’ai décidé de faire du personnage principal Ijon Tichy (1) une femme, une actrice américaine blonde travaillant à Hollywood. »
Ils m’ont tous regardés avant de se tourner vers le plus âgé de l’assemblée et il a dit : « Je pense que c’est une très bonne idée, je me suis lassé des différentes versions d’Ijon Tichy depuis des années, faisons place à une femme pour une fois ».

(1) personnage récurrent de l’œuvre de Stanislas Lem 

Le Congrès est né en réaction à Valse avec Bachir ?

Oui. Après Valse avec Bachir qui était porté par un protagoniste masculin j’avais besoin de me projeter dans un univers féminin, de m’aventurer dans l’inconnu.

Comment avez-vous travaillé avec Robin Wright sur son personnage et ce qui le différencie de sa vraie vie ?

Après lui avoir fait part du projet, elle s’est entièrement rendue disponible pour le film. Je l’ai revu 4 mois plus tard pour prendre des notes et pour ajuster ce personnage entre fiction et réalité. C’est seulement lors de la présentation à Cannes que j’ai pris conscience que Robin n’avait jamais imaginé que la Robin Wright du Congrès avait quelque chose à voir avec elle. Selon elle, j’avais seulement emprunté son nom, deux titres majeurs de sa filmographie et le fait qu’elle avait donné naissance à un garçon et une fille. Le reste n’était que pure fiction. C’est grâce à cela qu’elle s’est toujours sentie à l’aise avec le rôle. 

Le congrès est  l’un des premiers films à dévoiler les coulisses de la performance capture et de ses dernières avancées avec l’utilisation notamment du « Light Stage ». Cependant vous semblez avoir une position assez ambivalente vis-à-vis de cette évolution. D’un côté vous dressez un constat assez alarmant  et critique sur ce nouveau visage du cinéma et sur la place de l’acteur dans ce processus mais de l’autre vous montrez que cette révolution consiste à retourner aux fondamentaux du cinéma et de la direction d’acteur. C’est ce qui se passe dans la dernière scène qui réunit Harvey Keitel et Robin Wright. Depuis bien longtemps les acteurs ne sont que des marionnettes.

Nous avons tourné cette  scène dans un vrai studio de Los Angeles, le Light Stage 5 situé sur le campus de l’USC (University of Southern California). En temps normal, ils scannent les acteurs pendant seulement 30 secondes. J’ai d’abord imaginé tourner une scène très cynique où Robin entrait sous le dôme de lumière, et quelques secondes plus tard tout était terminé, elle signait son contrat et acceptait de ne plus apparaitre à l’écran, en laissant son double numérique faire le travail. Comme j’avais la chance d’avoir des acteurs du calibre d’Harvey et Robin, je me suis dit que cette scène devait être leur scène d’adieu, qu’il s’agissait de la dernière grande performance de Robin avant de disparaître et de laisser place à son avatar. Cela devait être leur plus belle collaboration et finir en apothéose. C’est une idée de cinéma qui a vu le jour grâce à ces deux acteurs.

Tout à fait, mais vous semblez dépeindre cette nouvelle technologie comme une manière pour l’industrie de se débarrasser des acteurs et des techniciens, alors que cette révolution a été menée par des réalisateurs comme Robert Zemeckis et James Cameron et non par les dirigeants des studios.

Vous avez raison, c’est la première fois que l’on me fait remarquer cela, je n’y avais pas pensé auparavant. C’est effectivement une volonté des réalisateurs, mais ce studio de captation dans lequel nous avons tourné existe avant tout pour rassurer l’industrie. Lors de la prochaine grosse crise du secteur, ces gens-là viendront voir les dirigeants des studios en leur proposant de baisser leurs coûts de production en utilisant leurs services. C’est avant tout une histoire de gros sous.

Je pense que le conflit entre acteurs et acteurs numériques est difficile à prévoir. Quand j’observe mes enfants, je me rends compte qu’à un an ils savent déjà manipuler un i-pod, qu’à cinq ans la playstation n’a plus de secret pour eux, alors comment savoir si, dans quelques années, ils se soucieront de savoir si le personnage à l’écran est réel.
Quand je suis allé voir Tintin avec eux, j’étais perdu face à ce que je voyais à l’écran. Cela ne ressemblait ni à un dessin animé, ni à un film classique. J’ai détesté ce rendu à mi-chemin entre cinéma virtuel et animation, mais mes enfants ont adoré le film. Peut être qu’un jour ils liront cette interview et se diront que mon discours est aussi désuet que celui des opposants à l’arrivée du parlant.
Je me fais peut-être vieux mais je ne suis pourtant pas allergique à la technologie. Quand j’ai dû choisir entre tourner mon film en 35 mm ou en numérique j’ai fait de nombreux test et quand j’ai vu le résultat à l’écran je me suis dit que le 35mm était mort. Après tout, peut-être que toute cette discussion sur le cinéma virtuel est aussi ridicule que celle en son temps sur les premières caméras numériques. Il y a cinq ans je discutais avec Pawel Edelman le chef opérateur de Roman Polanski qui devait tourner le film, il  me déconseillait de tourner le film en numérique et aujourd’hui cette discussion est déjà dépassée.

La technologie a besoin de faire ses preuves…

Oui, il en  sera peut-être de même avec le cinéma virtuel.

Vous faîtes régulièrement références aux dessins animés des frères Fleischer mais quelles sont vos autres références dans le domaine de l’animation ?

Il  y a les films de Satoshi Kon, un des géants de l’animation qui nous a quittés il y a deux ans, alors qu’il n’avait même pas 50 ans. Il avait beaucoup participé à la promotion de Valse avec Bachir au Japon. Un de mes autres films de chevet est Yellow Submarine de George Dunning, un grand délire psychédélique. 

Avez-vous vu Mind Game de Masaaki Yuasa, un des films les plus déjantés sortis du Studio 4°C  en 2004 ?

Mind Game, il faut que je note cela quelque part. Je suis fasciné par le cinéma japonais. La manière des japonais d’appréhender l’art visuel, le design et la narration est totalement différente de la nôtre. Il fut un temps où seuls Ozu ou Kurosawa avait droit au chapitre. De nombreux autres grands réalisateurs comme Seijin Suzuki (La marque du Tueur) ou Kinji Fukasaku (Combat sans code d’honneur, Battle Royale) ont réalisés plus de 40 films sans jamais connaître de succès à l’étranger. Heureusement que Jarmusch ou Tarantino étaient là pour les remettre au goût du jour.

Est-ce que vous pouvez nous parler de votre implication dans la future anthologie Jerusalem, I love you ?

Non, car je crois que tout ceci est tombé à l’eau. Je n’ai pas eu de nouvelles de leur part depuis deux ans, donc pour moi le projet est mort.

Entretien réalisé à Bruxelles le 04 juillet 2013 par Manuel Haas pour le Passeur Critique
Remerciement à Heidi Vermander de Cinéart pour l’entretien

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