Dernière Séance # 10


Journal d’un cinéphile au XXIème siècle

Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.


Mercredi 4 décembre

Après une vidéo que lui a consacré Le Ciné-Club de Mr Bobine, c’est au tour de nos complices du cinéma Kinograph à Bruxelles de consacrer un cycle de projections à l’année cinéma 1999. Si la bien-aimée chaîne YouTube analyse l’année qui mit fin au siècle dernier comme une succession invraisemblable de « sleepers » (sorties non attendues qui raflent la mise au box-office – pas le film avec Jason Patric), les programmateurs du Kino choisissent trois films regroupés sous l’axe de la révélation d’une « réalité alternative »: celle que le spectateur découvre à la fin du Fight Club de David Fincher, celle que Néo va pénétrer en choisissant la pilule rouge dans Matrix des Wachowski’s ou enfin le monde en proie aux pulsions dans lequel s’aventure le gentil Bill dans Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick. Sixième sens de M. Night Shyalaman, deuxième plus gros succès de 1999 après La Menace fantôme eut pu se joindre à ce corpus. Chaque projection sera précédée d’une rencontre avec un expert et/ou un philosophe.

N.B.: Matrix le 11 décembre à 20h – Eyes Wide Shut le 19 décembre à 20h.


Jeudi 5 décembre

Tous les chemins mènent au Rhum. Dans le numéro 706 de Positif (décembre 2019) on trouve un texte intitulé L’ouest, le vrai qui reprend le nom d’une collection de romans chapeautée par Bertrand Tavernier chez Actes Sud, dans laquelle sont réédités des romans westerns du milieu du XXème siècle, signés Niven Busch, W.R. Burnett, Alan Le May ou A.B. Guthrie. À la lumière de ces romans, le critique Frédéric Mercier lance quelques pistes pour une relecture de l’histoire du western américain au cinéma, soulignant notamment la complexité et l’ambiguïté du Vent de la plaine d’Alan Le May face au film plus univoque qu’en tira John Huston en 1960.

Quelques pages plus loin, Christian Viviani flatte l’analyse du même Frédéric Mercier dans les bonus de la nouvelle édition BluRay de Missouri Breaks (Arthur Penn – 1976) qu’il oppose aux « dithyrambes invertébrés que certains éditeurs arrachent à des blogueurs illuminés pour constituer, à peu de frais, des suppléments ». Certes, le rédacteur de Transfuge est souvent brillant, mais il nous semble mal venu d’apposer son nom à un commentaire lapidaire sur la blogosphère ciné. En effet, Frédéric Mercier longtemps podcasta lui-aussi son amour du cinéma au sein de Kaboom, L’émission et officia même un temps sur le site défunt Le Passeur critique, pour lequel les transmetteurs eux-mêmes suèrent sang et eau !

Moralité, l’activité de critique cinéma sur internet constitue aujourd’hui une voie comme une autre vers des sphères critiques plus « institutionnelles ». CQFD.


Vendredi 6 décembre

Découverte de la bande annonce des Enfants du temps, dernier long-métrage de Makoto Shinkai. Après Your Name (2016), l’auteur a renouvelé l’exploit de ce dernier film au box-office japonais, en dépassant à nouveau la barre des 10 milliards de yens de recettes. Les Enfants du temps sortira le 8 janvier prochain en France, mais aucune date de sortie n’est prévue pour le moment en Belgique.

Avec la disparition d’Isao Takahata et le soi-disant testament d’Hayao Miyazaki (Le Vent se lève2013), la dernière décennie a sonné la fin d’un âge d’or pour le studio Ghibli. D’un autre côté ces années ont vu l’avènement d’une relève prometteuse, incarnée par le phénomène Makoto Shinkai (dans sa première heure, l’ambition narrative de Your Name est vertigineuse) et surtout l’état de grâce de Mamoru Hosoda dont le spectaculaire triplé Les Enfants loups (2012), Le Garçon et la Bête (2015) et Miraï, ma petite sœur (2018), élève au rang de réalisateur majeur de la décennie passée. Malgré d’évidentes synergies thématiques (l’animisme, l’écologie) le commandant Miyazaki n’aura pas su ménager de place à bord de son vaisseau pour ce talent trop insolent. En effet Mamoru Hosoda fut le premier réalisateur à travailler sur le projet Le Château ambulant achevé par le maître en 2004.


Samedi 7 décembre

Victime de la hype et du mauvais temps, je me précipite sur Marriage Story depuis mon canapé, alors même que le film est projeté dans quelques salles pas très éloignées. Il fallait s’y attendre, le film de Noah Baumbach n’est pas le chef d’œuvre stratosphérique dont on nous chante les louanges un peu partout. Adam Driver et Scarlett Johansson y trouvent l’occasion de déployer une large palette de leur talent, et parviennent à rendre crédible cette trajectoire de l’amour partagé jusqu’aux pires vacheries, un chemin difficile à appréhender pour le néophyte en matière de divorce friqué. Fin dialoguiste et excellent directeur d’acteurs, Noah Baumbach laisse progressivement entrapercevoir la complexité de la situation, faisant sensiblement évoluer le point de vue du spectateur sur les personnages en cours de métrage.

Malheureusement, Marriage Story peine à trouver son équilibre entre ce nœud dramatique naturaliste et des personnages secondaires outranciers. Assez monotone visuellement (à base de plans-américains à la courte focale dans de petits intérieurs froids), le film recourt au gros plan avec parcimonie, notamment lors d’une mémorable engueulade d’une dizaine de minutes avec insultes et coup de poing dans le mur, point d’orgue du film. À croire que l’élève Noah Baumbach a pris bonne note des leçons du maître Brian De Palma : en effet, dans le documentaire que l’auteur new-yorkais a consacré au réalisateur de Blow Out (1981) ce dernier se plaint de l’usage abusif du gros plan dans le cinéma contemporain.


Dimanche 8 décembre

Nul n’a la cinéphilie infuse. À presque 40 ans, je consacre un dimanche après-midi pluvieux à visionner pour la première fois les 195 minutes de La Fille de Ryan (1970). David Lean et son scénariste Robert Bolt qui s’inspirent de Madame Bovary, les paysages spectaculaires de la péninsule de Dingle, contre-emploi pour un Robert Mitchum impérial en mari cocu, Sarah Miles impressionnante en blanc, en rouge, en jaune, en gris. La mise en scène est d’une admirable limpidité, le montage ou certains effets de lumière frappent par leur audace (la première rencontre entre l’héroïne et son amant), le film contient deux scènes de coïts mémorables primordiales à la compréhension. Surtout, La Fille de Ryan déchaîne une puissance tellurique qui semble avoir impressionné nombre de suiveurs, de Lars Von Trier (Breaking The Waves – 1995) à William Friedkin (la scène de la tempête me renvoie au pont suspendu de Sorcerer – 1977). Une rapide recherche m’apprend deux faits intéressants : en pleine montée de vague du « Nouvel Hollywood », La Fille de Ryan aurait été conspué par la critique américaine, sans doute en réaction au cinéma bigger than life de David Lean. Vingt-quatre ans plus tard, c’est aussi un assassinat critique qui accueillit Giorgino (1994). Inspiré du film de David Lean et désastre financier en son temps, le film de Laurent Boutonnat est resté longtemps invisible avant d’être réhabilité par quelques critiques francs-tireurs et ressorti en DVD en 2007. De quoi piquer ma curiosité cinéphile, à suivre donc…


Lundi 9 décembre

À l’heure du bilan d’une décennie de blockbusters franchisés placée sous la domination envahissante du géant Disney/Marvel, le retour sur le devant de la scène de Georges Miller et de son « road warrior » aura ravivé un instant la flamme d’un cinéma d’action que l’on croyait disparu. Max Rockatansky et son V8 Interceptor tout cabossé détonnaient dans un paysage cinématographique de plus en plus aseptisé et alignant les scènes d’action interchangeables. Sans jamais  ralentir la cadence et avec une économie de dialogue salutaire, Miller réussissait l’exploit de faire avancer son histoire tout en suggérant un univers aux ramifications encore plus étendues. Un pari formel et narratif célébré par une partie de la critique et du public mais aussi vivement fustigé d’autre part autour de l’éternel débat du fond et de la forme, reprochant au film son absence de scénario ou d’enjeux, alors même que par essence au cinéma -art visuel par excellence -la forme égale le fond. Quatre ans plus tard, alors que la suite de Mad Max Fury Road (2015) se fait attendre, l’annonce du nouveau projet de Georges Miller sonne comme un pied de nez aux détracteurs de son dernier exploit. Intitulé 3000 Years of longing (un titre voisin de celui du documentaire de Miller consacré au cinéma australien 40 000 Years of dreaming) et annoncé comme « très visuel, mais presque à l’opposé de Fury Road… se déroulant essentiellement en intérieur avec beaucoup de conversations » ce film énigmatique porté par Idris Elba et Tilda Swinton n’est pas sans évoquer l’idée convoquée par James Cameron à la sortie d’Avatar d’un huis clos dramatique tourné en 3D afin d’asseoir l’idée que la 3D était avant tout un outil au service de la narration. Deux grands conteurs pour une même idée du cinéma qu’il nous tarde de retrouver sur grand écran après une décennie 2010 repliée sur elle-même et qui aura – à quelques exceptions près – été incapable de nous donner à voir le visage du cinéma de demain.


Mardi 10 décembre

Les voies du C.N.C. sont impénétrables. Il y a quelques semaines, je m’étonnais du choix de préférer Les Misérables au Portrait de la jeune fille en feu pour les pré-sélections aux Oscars. Depuis quelques jours, fleurissent ça et là sur la toile des critiques américaines dithyrambiques à l’égard du film de Céline Sciamma. Dans la foulée, Claire Mathon est distinguée meilleure directrice de la photographie par le cercle des critiques de Los Angeles (devant Roger Deakins excusez du peu) tandis que le film obtient d’excellents résultats d’audience dans les quelques salles new-yorkaises et californiennes qui le projettent. Voilà pour me conforter largement dans mon opinion quant au choix du C.N.C. !

Quand soudain, à ma grande stupeur, les nominations aux Golden Globes sont annoncées : le film de Céline Sciamma y figure dans la catégorie « Meilleur film étranger » aux côtés… des Misérables de Ladj Ly ! Définitivement, je ne comprends rien aux règles de sélection des statuettes américaines, mais croisons les doigts pour qu’un parcours international remarquable vienne laver l’accueil glacial réservé par le public hexagonal au plus beau film français sorti en 2019.

Sur ce, bonne semaine cinéphile à toutes et à tous !

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