Journal d’un cinéphile au XXIème siècle
Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.
Après une semaine de deuil cinéphile noyé dans l’alcool et le chagrin à regarder en boucle la filmographie de Kirk Douglas, nous voici de retour pour un nouveau numéro de la Dernière séance.
Mercredi 12 février
Alors que le générique de fin de Mandingo de Richard Fleischer défile sur l’écran de mon ordinateur, j’apprends avec tristesse le décès de Kirk Douglas avec lequel Fleischer avait collaboré sur 20 0000 lieues sous les mers et Les Vikings. Nés à un jour d’intervalle, ces deux natifs de l’état de New-York se croisaient une dernière fois dans mon imaginaire cinéphile ouvrant une parenthèse enchantée entre leurs filmographies respectives. Deux carrières entamées en 1946, avec Child of Divorce poignant premier long métrage de Fleischer et L’emprise du crime où le jeune Kirk Douglas partageait l’écran avec la grande Barbara Stanwyck. Les années 50 et 60 furent fructueuses pour les deux hommes. Au sommet de son star-system, l’acteur tourne avec Billy Wilder, Howard Hawks, Vincente Minnelli, Robert Aldrich ou Stanley Kubrick alors que Fleischer entre dans la cour des grands avec le succès phénoménal de 20 0000 lieues sous les mers, premier film live des studios Disney, et enchaîne les réussites artistiques et commerciales de premier plan (Les Vikings / Le voyage Fantastique). C’est à l’aube des années 70 que leurs routes vont se séparer. Un moment de bascule du cinéma américain merveilleusement retranscrit dans le Once Upon a time in… Hollywood de Quentin Tarantino, Fleischer accompagnant l’émergence du Nouvel Hollywood, tant d’un point de vue formel que thématique, là où Kirk Douglas verra sa carrière progressivement décliner au cours de la décennie. Il y tournera cependant deux films majeurs : Furie de Brian De Palma et Le Reptile de Joseph Mankiewicz.
Point d’orgue de cette période, Mandingo clôt de manière glaçante un chapitre passionnant de l’œuvre de Fleischer. Film terminal sur l’esclavage auxquels les récents Django Unchained et 12 Years a slave doivent énormément (Tarantino faisant un renvoi direct à une scène clé du film de Fleischer). Mandingo explore sans fards et sans afféteries toute la crudité de la traite des noirs dans une inversion totale de l’imagerie sudiste d’Autant en emporte le vent. Longtemps invisible et censuré, ce dernier coup d’éclat de Fleischer ne perd rien de sa puissance prés de 50 ans plus tard, à l’image de l’ensemble de la filmographie son auteur.
Jeudi 13 février
Kirk Douglas encore et toujours, l’excellente émission Total Trax dédiée à la musique de films et animée par David Oghia, Rafik Djoumi et Olivier Delbrosses consacre un numéro hors-série à Kirk Douglas. Une playlist de plus de 2 heures articulée autour de films emblématiques de la carrière du grand Kirk, avec un focus sur les réalisateurs et les compositeurs qui ont accompagné la carrière du monsieur. Au programme le trop souvent oublié Le Gouffre aux Chimères de Billy Wilder, L’homme qui n’a pas d’étoile, Chaîne Conjugale, L’arrangement, La Captive aux Yeux Clairs ou Les Ensorcelés, soit un voyage éveillé au travers de 50 ans de cinéma qui enchantera autant les mélomanes que les cinéphiles.
Un épisode spécial à écouter ici
Vendredi 14 février
J’aime les chiens. Et j’aime aussi Harrison Ford. Parfois, j’imagine même leur trouver des qualités semblables. Quelques soient les circonstances, ils apparaissent toujours comme de vieux copains, inchangés, rassurants et diablement agréables à caresser. En fouillant mes fondements psychanalytiques, on pourrait certainement trouver différentes raisons à ces amours. Mais ce serait bien sans mettre en avant leurs conséquences désastreuses. Outre quelques cicatrices, résidus d’embarrassantes embrassades canidées, c’est surtout un certain nombre de films plus que dispensables avalés pour combler ces passions qui me questionnent. J’hésite donc à me fader la nouvelle adaptation de L’Appel de la Forêt – œuvre phare de Jack London publiée en début de siècle passé – dans laquelle Harrison Ford incarne le célèbre John Thornton aux côtés d’Omar Sy (dans le rôle du chien, si l’on en croit l’affiche). Chris Sanders n’est pas Wellman – mais reste l’auteur du très bon Dragons – et passer après Clark Gable, Charlton Heston ou encore Rutger Hauer dans un rôle aussi iconique n’est pas chose aisée mais voir Sy, Ford et un clébard se faire des papouilles sur grand écran, ma foi, pourquoi pas ?!
Samedi 15 février
À l’heure des Oscars, on saluait le début de tournage de Nightmare Alley, nouveau film de Guillermo Del Toro, deux ans après la consécration de La forme de l’eau. Une occasion de revenir sur ce petit diamant brut du film noir signé Edmund Goulding, réalisateur inégal mais qui aura fait briller Bette Davis dans Une certaine femme, La Vieille fille et Dark Victory . Avec son histoire de médium érigé en faux prophète, le film de Goulding évoque un croisement étrange entre le Freaks de Tod Browning, Elmer Gantry de Richard Brooks et La Caravane de l’étrange, la série avortée de Daniel Knauf. Bonimenteur de fête de foraine qui de l’illusion bascule progressivement dans la criminalité en s’associant à une psychiatre, Tyrone Power y trouve l’un de ses meilleurs rôles, et l’on devine aisément tout ce qui a pu attirer Del Toro dans cette relecture. Entre sa figure de « geek » érigé en attraction foraine et le désir de respectabilité et de pouvoir de son personnage principal, cette nouvelle cuvée du mexicain pourrait s’imposer comme son Huit et demi (ou son Ready Player One pour ceux qui lisent entre les lignes), interrogeant à nouveau les notions de croyance et de foi, qui irriguent le cinéma de Del Toro.
Pour savoir si mes prévisions relèvent du sixième sens ou de la mystification, il faudra se donner rendez-vous dans les salles en 2020 ou 2021.
Quel sera le geek 2020 selon Del Toro ?
Lundi 17 février
Pierre Lescure se présente pour un troisième mandat en qualité de président du festival de Cannes. Le successeur de Gilles Jacob, homme d’affaires et de médias, ancien patron du PSG rempilera-t-il pour un nouveau mandat ? Rien n’est moins sûr. L’élection se serait vue reportée et la fine équipe du président – de l’état, lui – Emmanuel Macron en aurait profité pour opter avec insistance pour une représentante féminine pour présider (souvent honorifiquement) le plus grand festival cinématographique du monde. En ces « années #metoo, post-Weinstein », rien ne paraissait plus réjouissant, ni attendu jusqu’à ce que les premiers noms sortent dans les journaux. Outre Véronique Cayla, Isabelle Giordano ou encore Laure Adler, plus ou moins à leurs places (parfois moins que plus), c’est Mercedes Erra, plus spécialisé dans les stratégies de Danone et McDo que dans le ciné, qui tiendrait la corde. Quand on vous dit que l’industrie finira bien par littéralement nous vendre des bidons de lessive.
Pourquoi ne pas proposer directement Brigitte ?
Mardi 18 février
Plus efficace, moins politiquement lissé par les hautes instances, le Geena Davis Insitute of Gender in Media œuvre depuis 2004 a dénoncer les inégalités, les stéréotypes, et le déséquilibre entre les genres dans les médias et particulièrement le cinéma. Le peu d’intérêt porté à la cause il y a encore quelques années ne semblait pas avoir servi l’organisation. On imagine cependant mal la gloire perpétrée comme unique but pour tous ses influents membres qui organisent un congrès tous les deux ans travaillant à aplanir l’oscillogramme vacillant de la domination masculine. Demain, mercredi 19 février 2020, sortira Tout Peut Changer ! Et si les Femmes comptaient à Hollywood ? Un documentaire de Tom Donahue mettant à l’honneur la star de Thelma et Louise et toute la fine mais maigre fleur du Hollywood féminin. En espérant que les idéaux gorgés d’envie gardent le cap – mais comment pourrait-il en être autrement ? – afin que ce genre d’initiatives ne résonnent plus en évidentes nécessités.
Sur ce bonne semaine cinéphile à tous !
Manuel Haas et Lucien Halflants
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