Journal d’un cinéphile au XXIème siècle
Pensées, aphorismes, observations, opinions, réflexions, blagues… Toute ressemblance avec la rubrique « Bloc-notes » de la revue Positif est absolument volontaire.
Jeudi 07 mai
Ironie du sort, alors que son dernier film débarquait en salles le même jour que The Irishman de Scorsese sur Netflix, c’est en VOD que je découvre le dernier film de Rian Johnson. Après la débandade de l’épisode VIII de Star Wars, on aurait pu espérer que Knives out, son nouvel opus, sonne comme une revanche créative face aux exigences hollywoodiennes actuelles et à l’accueil désastreux du film auprès du public. Raté, ce « whodunit » en mode Cluedo autour de la mort d’un auteur de polars légendaire, est aussi irritant et éreintant à suivre que son incursion du côté obscur de la force. En désamorçant au bout de trente minutes l’enjeu central du récit autour de l’identité de la personne accusée du meurtre, le jeu de massacre de Rian Johnson tient plus de l’entreprise de destruction que de déconstruction. Le reste du métrage entrecoupé des vomissements de la belle Ana de Armas – incapable de mentir sans régurgiter – est à l’avenant, entre un Daniel Craig dont le seul flair réside dans les réactions gastriques de la demoiselle et un casting 4 étoiles en surrégime complet. Le réalisateur des sympathiques Brick et Looper a beau ménager un petit twist final dans la dernière ligne droite du récit (malheureusement éventée par l’apparition tardive de l’acteur le plus bankable du film) et saupoudrer son intrigue d’une vague allégorie politique sur la situation des Etats-Unis, Knives out est une vraie douche froide, qui laisse planer de gros doutes sur la suite de la carrière de Rian Johnson.
Le mystère reste entier sur le tournant de la carrière de Rian Johnson
Vendredi 08 mai
Nouvelle petite séance de rattrapage avec Le Gangster, le flic & l’assassin, polar hard-boiled signé de l’inconnu Won-Tae Lee (un premier film Man of Will encore sans distributeur chez nous). Projeté en séance spéciale lors de l’édition 2019 du festival de Cannes, le film emprunte le chemin inverse du Knives out de Rian Johnson. Loin de chercher à réinventer le genre, Won-Tae Lee assume pleinement son programme de série B bourrine et décomplexée. Sur une trame librement inspirée d’une histoire vraie (un flic et un chef de gang unissant leur forces pour mettre fin aux agissements d’un tueur en série qui sévit dans les rues de Séoul), Le Gangster, le flic & l’assassin additionne tous les passages obligés du genre sans jamais dévier de sa route, offrant par là-même au spectateur un divertissement de haute volée qui ne cherche jamais à s’excuser ni de son irrévérence, ni de l’immoralité du chemin emprunté par les deux protagonistes pour arriver à leurs fins. À l’heure où le cinéma populaire se conjugue bien trop souvent avec une approche timorée, la profession de foi outrancière de Won-Tae Lee confère au film saveur old school et énergie dévastatrice. Dans les rôles principaux, le duo Ma Dong-Seok (Dernier train pour Busan) et Kim Moo-Yul fait des étincelles, le premier en armoire à glace dont chaque coup de poing semble prêt à vous décrocher la mâchoire (avec une scène d’introduction du personnage proprement jouissive), le second tout en frime et en décontraction, rappelant les prestations de flics narquois et désabusés de Bruce Willis ou Mel Gibson. Une nouvelle preuve que dans ce registre, les coréens s’imposent comme les rares héritiers d’un cinéma où le premier degré et l’absence de cynisme n’ont pas pris le pas sur une vison comptable et aseptisée du divertissement populaire.
Un polar qui tient plus du buddy movie que du thriller anxiogène
Samedi 09 mai
Il y a, dans les courants survivalistes, un vrai pouvoir de fascination. Une forme de dégoût aussi pour ceux qui, parfois, semblent plus attendre l’effondrement qu’ils ne le craignent. La raison de s’y préparer en est d’autant plus trouble. C’est cette approche qui intéresse dans Jusqu’au déclin, premier long-métrage de Patrice Laliberté. À travers une écriture épurée, parfois programmatique mais toujours efficacement mise en scène, le jeune réalisateur québécois parvient à dresser le portrait d’une infra-communauté fondée en partie sur la crainte de la société mais peut-être surtout sur celle de son prochain. L’occasion rêvée pour Patrice Laliberté, Nicolas Krief et Charles Dionne (deux compères dont il semblerait que ce soit aussi le premier film) d’orchestrer un jeu de massacre un peu chanceusement lié à l’actualité. Mais outre ses qualités narratives, Jusqu’au déclin est aussi la première production québécoise de Netflix, qui donne à espérer l’avenir que peut offrir le géant du streaming à de nombreux jeunes filmaillons à travers le monde.
Déconfinement J-2
Dimanche 10 mai
55éme et dernier jour de confinement, ce matin dans le miroir, le regard hagard, la bave aux lèvres et le cheveu hirsute, je ressemble de plus en plus à une version hollandaise de Klaus Kinski à l’heure du réveil. Si le confinement a eu pour avantage de faire fondre ma pile de dvd/bluray comme neige au soleil, cette quarantaine cinéphage commence sérieusement à jouer sur ma santé mentale et mon niveau de sociabilité. Endormi hier devant le générique de fin de Deux salopards en enfer de Tonino Ricci, la première image qui vient me saisir au réveil est celle du regard à la fois hystérique et tragique de Klaus Kinski affrontant à lui seul un blindé de l’armée allemande dans un geste héroïque suicidaire. Un dernier plan qui vient racheter, en une fraction de secondes, une heure et demie d’un film de guerre mineur, qui laisse la part belle à l’interprétation flamboyante de Kinski en soldat de l’armée américaine à la moralité défaillante. Totalement hypnotique, l’acteur allemand éclipse le reste du casting par sa composition d’un personnage d’anti-héros pathétique dont les derniers instants restent en mémoire longtemps après le générique de fin, comme un souvenir lointain d’une humanité à l’agonie. Il est temps maintenant de reprendre ses esprits et d’affronter le monde extérieur.
Lundi 11 mai
Ce matin, certaines cours d’école ressemblent à s’y méprendre à une vision cauchemardesque échappée du cerveau malade de Lars Von Trier. Espérons juste que le reste du programme concocté par le gouvernement français ne penche pas du côté des mêmes discours fascisants que Lars Von Trier aura pu tenir lors de la fameuse conférence de presse cannoise de Melancholia.
Une certaine idée de fin du monde
Lundi 12 mai
Jamais je n’aurai écouté autant de podcasts que ces dernières semaines. La plupart liés de près ou de loin à cet art que nous aimons tant et qui nous occupe plusieurs heures chaque jour. Il est donc important de régulièrement mettre à l’honneur ceux qui rendent cette passion possible. Outre les cinéastes et autres monteurs, compositeurs, directeurs photo ou encore critiques, analystes, historiens… Ce sont les distributeurs et éditeurs qui prennent souvent place dans ces lignes. Ils sont les indispensables artisans d’un travail de recherche, de restauration, d’édition et surtout de mise en valeur des œuvres. Il se trouve justement que « Revus et Corrigés » est devenu le temps de quelques lives Youtube « Revus et Confinés ». Au cours de chacune de ces heures d’entrevues, Marc Moquin et Sylvain Perret reçoivent les acteurs de cette dernière étape avant lecture, avant vision. Ainsi, ce sont Nils Bouaziz de Potemkine, Vincent Paul-Boncour de Carlotta, Thomas Aïdan de La Septième Obsession et Manuel Attali d’Ed Distribution qui reviennent de manière passionnante sur leurs métiers et leurs manières parfois fort différentes de les appréhender. Parfait remède à l’inculture et à l’ennui (mais un cinéphile s’ennuie-t-il ?) ces entretiens font aussi figure de main tendue à une industrie qui vacille.
Bonne semaine cinéphile à toutes et à tous !
Lucien Halflants et Manuel Haas